Escape From Tomorrow


Au rayon des films qui n’ont pas eu les honneurs d’une sortie en salle mais qui ont quand même éveillé notre curiosité, le projet Escape From Tomorrow, présenté comme un film d’horreur tourné clandestinement dans les parcs Disneyland américains, tenait le haut du panier. Et puisqu’on vous propose un grand dossier sur Walt Disney et le cinéma de genre, on s’est dit que c’était le moment ou jamais de vous parler de cet ovni cinématographique pas exempt de défauts.

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It’s a small world after all

Le projet Escape From Tomorrow a pas mal fait parler de lui après sa présentation en compétition au Festival du Film de Sundance 2013. Plus que son sujet ou les véritables qualité cinématographique de ce premier film de Randy Moore, c’est d’abord la façon dont il a SUNDANCE-superJumbo-1024x652été réalisé qui a surpris et séduit. Tourné en cachette, sans aucune autorisation, dans les deux parcs Disneyland des États-Unis, Escape From Tomorrow a été réalisé avec des appareils photos 5D au nez et à la barbe des agents de sécurité des parcs à thèmes qui ont pris l’équipe de tournage pour des simples touristes souhaitant immortaliser leurs vacances chez Mickey.

Le film suit le parcours d’un père de famille en virée à Disneyworld avec sa femme et ses enfants. Fraichement réveillé, il contemple la beauté du parc d’attraction de l’oncle Walt à la terrasse de son hôtel Davy Crockett quand le téléphone sonne. C’est son patron, qui lui apprend qu’il est licencié. La journée au royaume enchanté des rêves commence à merveille pour Jim. Les rêves laisseront vite place aux cauchemars. Les enfants passent des doux anges aux petits démons, les poupées de l’attraction phare It’s a Small World ne lui ont jamais paru aussi terrifiantes, de jeunes et plus ou moins belles plantes – françaises de surcroît – le mettent dans des états pas possibles et une sorcière succube le kidnappe dans Fantasyland pour aller le baiser comme une tigresse dans le Disneyland Hotel. Après l’étreinte, cette sorcière lâche au pauvre Jim, le sourire démoniaque en coin : « Les gens viennent ici pour se rassurer et parce qu’ils s’y sentent en sécurité. Mais ça peut mal tourner n’importe où ». C’est à peu près sur cette idée que se base Escape From Tomorrow : déconstruire l’image du paradis sur terre, du pays des contes de fées, en en faisant le théâtre de l’implosion d’une famille, le lieu du cauchemar. Le réalisateur Randy Moore explique la genèse de son projet : « J’ai appris qu’après Las Vegas, Disneyworld Floride était statistiquement l’endroit où les gens se suicident le plus ! Il y a même des employés chez Disney dont le job consistent à enlever discrètement le corps des chambres d’hôtel avant l’arrivée des secours, et à nettoyer les dégâts. J’y ai tout de suite vu un point de départ pour mon histoire. A Disneyland on voit des gens s’amuser, mais si on fait un peu attention, on peut aussi y voir des familles au bord de l’implosion, prêtes escape_from_tomorrow_1__largeà s’étriper. Escape From Tomorrow part donc de cette vérité, et tend à dénoncer notre obsession pour les mondes artificiels où le rêve est préfabriqué. »

Mais passé l’entreprise intellectuelle, que reste t-il de l’ambition cinématographique du film ? Tourné sur le mode du guerrilla film, Escape From Tomorrow bénéficie de sa facture documentaire qui le rend d’autant plus réaliste. La première heure du film est assez savoureuse pour tout habitué des parcs à thèmes de Mickey Mouse. Comment ne pas se reconnaître en ce père de famille tentant désespérément de ne pas perdre la boule face aux chants aliénants des poupées de la démoniaque attraction It’s a Small World ? Comment ne pas compatir, à voir ce papa modèle accompagner son fiston pour dézinguer de l’alien dans l’attraction Buzz l’éclair alors même que la file d’attente est horriblement longue. Comment ne pas s’amuser à les voir enfin arriver à quai au moment même où l’attraction ferme pour cause d’incident technique ? Pendant plus d’une heure, l’ancrage réaliste du film de ball_sideviewRandy Moore tient le cap, et on s’identifie plutôt facilement à ce père modèle qui tente de garder le sourire pour ne pas gâcher le séjour magique de sa petite famille, alors même qu’il vient d’apprendre qu’il se faisait virer de son boulot.

C’est plutôt dès lors que le fantastique et l’horreur tente de s’immiscer dans l’intrigue avec ses gros sabots que le film perd cruellement de charme. L’homme rencontre sur un banc au beau milieu de Fantasyland une femme particulièrement pulpeuse et entreprenante, sorcière en déshérence dans le pays des princesses, qui va le séduire et le mener à la baguette jusque dans sa chambre. Commence alors une longue descente aux enfers, pour le héros comme pour le scénario. Ne parvenant jamais à des sommets d’horreur, le film reste jusqu’à la fin au stade de pensum intellectuel remettant en cause notre société de consommation et l’uniformisation du rêve. L’idée était suffisamment intéressante pour ne pas avoir à se réfugier dans un fantastique grand-guignol peu inspiré, où l’horreur est moins effrayante et efficace que les grandes scènes d’épouvante des classiques Disney. Un pétard mouillé. Voilà ce que Escape From Tomorrow finit par devenir à force de tirer les cordes d’une surenchère du ridicule : pour exemple, l’ahurissante séquence de Jim emprisonné dans une attraction futuriste, se rendant compte que le monde des rêves est contrôlé par des nouveaux penseurs, maîtres des nouvelles technologies, Siemens et consorts, héritiers de Walt Disney si l’on veut.

Plutôt que de lorgner inutilement vers le fantastique et la science-fiction, n’aurait-il pas été suffisant de s’appuyer sur l’étEscape from Tomorrowrangeté de ce monde parallèle fait de toc, pour l’ancrer plus encore dans la réalité de la situation initiale : un homme qui perd les pédales jusqu’à en venir au suicide ? L’achèvement du film est en cela étrange qu’il convoque autant du ridicule l’ayant précédé – l’homme meurt de la grippe du chat qu’une simili-sorcière française lui a craché à la gueule dans le parc – que de la force du cinéma du réel du premier tiers du film. À y réfléchir, l’étrange aurait pu simplement venir de ce monde à part qu’est Disneyland. Par exemple, de ses employés, chargés de venir chercher le corps de Jim dans les toilettes de sa chambre d’hôtel, et de nettoyer le sang qui inonde le sol et salit le beau papier peint Fée Clochette. Rien que cette idée aurait été d’une force fantastique beaucoup plus puissante si elle n’était pas noyée dans une dynamique d’horreur passablement bas de gamme et d’un fantastique plus ridicule que fascinant. Comme telle, cette très belle scène finale finit par perdre de sa finesse : elle n’est que la suite logique, l’achèvement de la descente aux enfers d’un homme mais aussi d’un film.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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