Jack et la Mécanique du Coeur


D’abord un magnifique bouquin écrit par le talentueux et multi-fonction Mathias Malzieu, puis un tout aussi magnifique album, par le groupe Dionysos – dont Malzieu est le chanteur-leader – sorte de bande-originale du roman : La mécanique du cœur se voit maintenant adaptée en film d’animation sous la houlette de Luc Besson. Après un développement chaotique de plus de cinq ans, le film sort enfin sur les écrans mais Joris – amoureux du livre et de son adaptation en CD – s’est rendu à l’une des très nombreuses avant-premières pour vous livrer son ressenti. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est bien amer.

jack-et-la-mecanique-du-coeur-Besson9

Une mécanique bien rouillée.

Avant de vous parler du film en lui même, il m’apparaît nécessaire de vous refaire un petit historique du projet et de sa genèse. Dans le petit monde de la chanson française, le groupe Dionysos mené par le multi-talentueux Mathias Malzieu, s’est démarqué par un univers atypique. Entre littérature fantastique, poésie macabre et érotique, et références cinématographiques à foison. Après un album disque d’or inspiré par le western (Western sous la neige, 2002) sur lequel figure leur plus célèbre tube Song for a Jedi, le groupe a su trouver au fil des années et des albums une identité propre, se constituant un univers très fort, peuplé de freaks merveilleux sortis de l’imagination et des écrits de son leader. Après un premier roman absolument magnifique sur le deuil de sa mère Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi (2005) – qui avait déjà plus ou moins inspiré des chansons de l’album le plus dramatique et sombre de Dionysos Monsters in Love, sortie la même année – le groupe remet le couvert deux ans plus tard en sortant un album adapté du nouveau livre de Mathias Malzieu : La Mécanique du cœur (2007). Le succès est immense, véritable best-seller, le livre reste en tête des ventes en France durant plus de vingt-semaines. L’album quant à lui, est unanimement considéré par les fans du groupe comme le meilleur, véritable clé de voûte de ce qu’on appellera l’univers Dionysos. Le succès est si grand qu’il arrive vite aux oreilles de Luc Besson, qui en achète les droits en 2008 pour une adaptation en film d’animation. Mathias Malzieu est annoncé à la réalisation et s’entoure de Stéphane Berla, déjà réalisateur du sublime clip de la chanson Tais-Toi mon cœur qui figurait sur l’album.

21013470_20130618162754534.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxLa production de ce film, énormément attendu par les amoureux du roman comme de l’album – comme moi – a été un parcours du combattant, une arlésienne, une aventure chaotique. Quand Luc Besson et sa société mettent en chantier dès 2008 la production de l’adaptation de La Mécanique du cœur de Mathias Malzieu, ni lui, ni les réalisateurs ne se doutaient qu’ils s’embarquaient là dans une aventure dont la production cauchemardesque ferait presque penser à une sombre malédiction. En effet, après deux années de travail acharné avec la société française d’animation Duran Duboi, celle ci met la clé sous la porte, ne résistant pas à une liquidation judiciaire. Plusieurs films en production sur lesquels travaillaient les employés de Duran Duboi sont menacés d’annulation, dont Jack et la Mécanique du cœur. A cet instant, Malzieu et Berla pensent le projet abandonné, voué à l’oubli. Et pour cause l’ensemble du travail effectué chez Duran Duboi n’est pas récupérable. Pendant plus d’un an et demi, Europa Corp entame des démarches judiciaires puis réussit à récupérer une partie de l’avancée du travail pour le transférer au studio belge Walking the Dog – qui avait notamment œuvré sur le très moyen Un Monstre à Paris (2012). Le projet est relancé, mais son beau ramage a perdu beaucoup de plumes dans la débâcle, victime des coupes budgétaires nécessaires pour sauver le navire, Besson fait le choix d’oublier la sortie en relief initialement prévue : seule une version 2D sera proposée. Concessions faites, le film finit par se dévoiler, d’abord au Festival du Film d’Animation d’Annecy, avant d’envahir les écrans début 2014.

jack-mecanique-coeur-teaser-vf_6dhjh_2qqw1oMais alors qu’est-ce-que ça raconte ? L’histoire est celle de Little Jack (Mathias Malzieu), et elle commence en 1874 à Édimbourg, le jour de sa naissance : le jour le plus froid du monde. Le petit naît avec un cœur gelé et une sage-femme un peu perchée, l’étrange Docteur Madeleine, le lui remplace par une horloge à coucou particulièrement capricieuse. Il survivra avec ce bricolage magique à condition de respecter trois lois : ne pas toucher à ses aiguilles, maîtriser sa colère et surtout ne jamais tomber amoureux. Mais quand le petit Jack rencontre la belle Miss Acacia (Olivia Ruiz), une petite chanteuse de rue quasiment aveugle au charme plein de piquants, l’amour va précipiter la cadence de ses aiguilles. Le film commence donc exactement au même moment que le livre et sa bande-originale, ce fameux jour le plus froid du monde. Dès les premières minutes, le constat est amer. L’animation n’est pas des plus belles, limitée et grossière, elle semble bel et bien pâtir du développement chaotique du projet et du changement de mains d’un studio d’animation à un autre. Certes, l’univers graphique est cohérent, plutôt poétique, mais le rendu des volumes, des textures et le design des personnages sont si approximatifs qu’ils dissolvent la magie et en lissent tous les pourtours. Pire, les personnages au second plan sont si peu travaillés que la qualité de leur animation se démarque clairement de celle des personnages principaux. Il est terrible de se dire que l’animation du clip de Tais toi mon cœur sortie en 2007, réalisé par le même Stéphane Berla, est bien plus belle et inspirée que celle du long-métrage.

Sans être un mauvais film, cette adaptation de La Mécanique du cœur ne convainc pas parce que l’identité propre au livre et à son univers n’est jamais pleinement respectée et assumée. Le cul entre deux chaises, Mathias Malzieu est forcé d’aseptiser son histoire, et contrôler sa fougue poétique métaphorique pour plaire et être compris de tous, notamment des enfants, qui sont clairement la cible de cette adaptation d’un livre qui ne leur était pas directement destiné. Si la poésie de Malzieu est moins macabre que celle de Tim Burton – auquel on le compare trop souvent – elle traite néanmoins de sujets tout aussi lourds (le deuil, le suicide, les rejetés de la société) 3116939425mais aussi et bien sûr de l’amour, avec un érotisme métaphorique assumé. (L’une des chansons de l’album s’appelle quand même Cunnilingus, mon amour) Autant de signes particuliers qui sont allègrement camouflés dans cette version cinématographique. Au final, si l’univers gagne en poésie par l’apport visuel de l’animation, il en perd tout autant à côté, faute d’un scénario qui s’époumone à lisser la personnalité de son auteur et son univers dans une monoforme convenue et sans caractère.

Et que dire de la bande originale, sinon que l’album est un petit bijou, mais qu’il est complètement sous-exploité ici. De ce point de vue aussi, on a le sentiment que Mathias Malzieu n’assume pas le parti pris de la comédie musicale. Les chansons sont tronquées, limitées à quelques couplets pour certaines, oubliées pour d’autres. On assiste à une succession de teaser de clip vidéos, matinée de leitmotivs placés çà et là, maladroitement, pour ne pas décevoir les fans de ne pas entendre leurs chansons préférées. C’est de ce point de vue que l’écriture scénaristique pêche véritablement : Malzieu ne parvient vraisemblablement pas à trouver une manière habile d’incorporer les très bonnes chansons de l’album dans leur entièreté. Prenez pour comparaison La Reine des Neiges (2013) – la production des studios Disney conçue comme un musical de Broadway – les deux films affichent exactement la même durée, une heure et quarante deux minutes, et le Disney parvient à incorporer à l’intrigue dix morceaux complets. L’ouverture de Jack et La Mécanique du cœur qui nous présente la naissance du petit Jack et le fonctionnement de son horloge de cœur aurait gagné en beauté et en intensité si elle avait été basée entièrement sur la très belle chanson Le Jour le plus froid du monde, qui à elle seule aurait résumé toute la longue exposition du film en cinq petites minutes et avec un lyrisme décuplé. Le défi artistique du film – qui, plus qu’adapter un foisonnant roman plein de métaphores visuelles, était d’utiliser l’album de chansons qui en était né – n’est donc pas réussi, et les amateurs de La Mécanique du cœur avant son adaptation cinématographique ne pourront en cela qu’être partiellement déçus.

jack-et-la-mecanique-du-coeurOn notera néanmoins quelques très jolies séquences, par ailleurs celles qui, le plus souvent, font la part belle à la musique : d’une rencontre coup de foudre autour d’un orgue de barbarie sur la tendre et naïve chanson d’amour Flammes à lunettes, en passant par l’hallucinante séquence qui ressuscite pour l’occasion le fantôme d’Alain Bashung, dont la voix rauque et envoûtante sied particulièrement bien à ce Jack l’éventreur en vadrouille dans un train de nuit. Sans oublier la projection du premier film de Georges Méliès (Jean Rochefort) dans un camp de freaks en pleine Andalousie, la confrontation façon western entre Jack et son Rival Joe (Grand Corps Malade), ou encore une séquence rock’n’roll endiablée, d’une grande inventivité de mise en scène, dans un train fantôme déluré. L’aspect érotique de l’œuvre originale est même esquissé (mais vite avorté) dans une jolie séquence de première fois sur la chanson Mademoiselle Clé dont le double sens des premiers couplets résument assez bien ce qu’aurait du être le ton poétique du film dans son ensemble (Tu es la clé, celle qui m’ouvre en entier, tu peux visiter mon corps (…) passe bien partout sans rien oublier, non rien oublier. Et parfois même ta langue brille, ô banderilles j’en bande-rille, tu m’as recollé).

Sauvé par des étincelles poétiques et quelques belles séquences, Jack et La Mécanique du cœur est bien mieux que mauvais, mais ne rend donc pas convenablement hommage à la subtilité du livre original, ni même aux chansons qui en avait été tirées. Au final, c’est un peu comme ces nouvelles traductions de romans, réécrits pour les enfants : on perd au rabot cruellement de contenance et d’épaisseur, cela peut être bienveillant et ne pas s’avérer déplaisant, mais quand ça s’attaque à l’essence poétique d’une histoire pour n’en laisser qu’un univers graphique : il ne faut pas s’étonner si subitement, la personnalité et le charme s’évaporent pour laisser place à l’ennui.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.