Les Huit Salopards 3


Un chalet dans les montagnes enneigées, sept hommes et une femme piégés par le blizzard. L’un d’eux ment sur son identité et sa présence, peut-être même plusieurs, mais comment démêler le vrai du faux ? Un salopard en est-il réellement un ? Tarantino signe avec The Hateful Eight son huitième film, surement l’un des plus impressionnants de sa carrière.

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Chapter 8 : Tarantino’s Got A Secret

La salle devient noire, les voix des derniers bavards se taisent. C’est sur un paysage enneigé et une musique inquiétante que s’affiche en immenses lettres oranges et jaunes « Le huitième film de Quentin Tarantino », suivi du titre The Hateful Eight. Si le film si attendu partage la critique, parfois de manière violente, il n’en reste pas moins que la dernière œuvre du fameux réalisateur reste sans doute la plus osée, mais surtout la plus personnelle. Trois ans après Django Unchained (2012) qui avait déchaîné le public cinéphile comme amateur, Tarantino signe un nouveau western, cette fois ci en huis clos, quittant les contrées chaudes et ensoleillées pour la neige et le blizzard mordant. Plusieurs années après la guerre de Sécession, John Ruth (Kurt Russel), chasseur de prime, doit livrer la criminelle Daisy Domergue à la justice de la ville de Red Rock. Il récupère sur la route le Major Warren (Samuel L Jackson), autre chasseur de prime, ainsi que le prétendu futur shérif de Red Rock, Chris Mannix (Walton Goggins). Tous trois se retrouvent piégés par une mauvaise météo, obligés de rester bloqués dans un relais de diligence où sont présents quatre étrangers. La méfiance s’installe, les tensions s’enflamment. Qui sont réellement chacun des protagonistes ? On retrouve donc les fameux chouchous de Tarantino accompagnés de nouvelles têtes menant le film à son paroxysme le plus total. On notera avant tout la démentielle performance de Jennifer Jason Leigh, dont les instants de folie et de sauvagerie donnent toute sa saveur à une grande partie du film (croisons les doigts pour un éventuel Oscar !). Des personnages hauts en couleurs, tout droit sortis d’un western des années 60, viennent envahir l’écran, tarantinesques à souhait. Ce qui les rapproche : la haine qu’ils éprouvent envers les autres, d’un point de vue aussi bien moral que personnel. Le titre original vient perdre en cohérence avec la traduction (pauvre) française, où l’on passe des « huit détestables » à « salopards », dommage ! Comme l’indique donc le titre original, aucun d’entre eux 1n’est bon, même si le spectateur va baser sa jauge de confiance sur le chasseur de primes incarné par Samuel L. Jackson, présenté comme sorte de centre de l’intrigue, qui pourtant dans un monologue va totalement changer la donne. Scandale du film, le monologue narre un acte de violence, enchaînant travelling sur Jackson et image d’un fait cru. Tarantino obscène et choquant ? Pas vraiment, la scène l’aurait tout autant été sans images présentées, et on ne compte plus le nombre de propos similaires ou scènes similaires dans ses autres films… Mise en scène, jeu d’acteur et scénario font de The Hateful Eight le théâtre d’actes mensongers et cruels jubilatoires, qui dans une explosion de violence atteint son apothéose durant le chapitre 4 du film, sur le commentaire amusé d’un narrateur impromptu (allez savoir de qui il peut s’agir).

La longueur du long-métrage a fait cracher de l’encre, beaucoup d’encre. Nombre de spectateurs avouèrent n’avoir guère apprécié ce qu’ils qualifiaient de « première partie », à savoir l’avant-effusion d’hémoglobine. Tout le charme du film tient pourtant dans les dialogues et le confinement en huis-clos, grâce à une mise en scène sans faute et à un casting de tout premier ordre. De la simple mise en situation avec aux retrouvailles armées à l’arrivée au chalet où la tension monte considérablement de mots en mots, le dialogue est le cœur même du film, de son esprit, et de son intrigue. On y retrouve les phrasés si mordants et provocateurs, l’une des principales signatures du réalisateur qui prend un malin plaisir à faire interagir de manière plus ou moins brusque des personnages faits de toute évidence pour s’éviscérer de par leurs différences d’opinion et leurs buts. Le dialogue marque les temps forts du film, monologues crus ou révélations, et finalement l’action prend une place très secondaire mais non moins jouissive. Le western vient se mêler au thriller en huis-clos, nous plongeant dans l’univers violent des chasseurs de prime et autres cow-boys, où le mensonge devient vérité.

Un second Reservoir Dogs (1992) à la sauce Django Unchained ? On ne peut nier l’intérêt de Tarantino pour un scénario travaillé en huis clos et le milieu du western dont les nombreux codes envahissent l’ensemble de sa filmographie. On peut pourtant lui retrouver plusieurs similarités avec l’un des piliers du cinéma d’horreur, The Thing de John Carpenter (1982). L’intrigue à quelques détails près : une équipe installée dans une station de recherche en Antarctique retrouve et accueille sans le savoir un corps extraterrestre, qui a le pouvoir de prendre possession d’un hôte vivant et l’imiter à la perfection. Coupée du monde à cause du mauvais temps et des méfaits de la créature, l’équipe se retrouve confrontée à un terrible dilemme : l’un d’entre eux n’est autre que la créature, mais 3qui ? De grandes similarités sont observables avec The Hateful Eight, qui avait été annoncé par certains médias avant sa sortie comme une sorte de remake de ce dernier, un alien en moins. Les deux films se déroulent selon des chronologies similaires jusqu’à un dénouement sanguinolent où tout prend forme, mais où personne n’est vraiment gagnant.

L’horreur, on ne la voit finalement que très peu hors des scènes sanglantes. Le thriller vient dominer davantage la mise en scène et l’intrigue du film, et le western ne reste relayé qu’à un simple genre contextuel. Pourtant un élément vient massivement faire pencher la balance. Autre aspect non négligeable du film pourtant fortement discuté par la critique, la bande son, signée maître Ennio Morricone lui-même. Le compositeur d’Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone, 1968) signe l’apothéose de sa collaboration avec Tarantino. L’ensemble des morceaux de la bande originale sont en réalité d’anciens essais composés par Morricone pour The Thing, refusés à l’époque par Carpenter, réarrangés pour The Hateful Eight. L’atmosphère pesante du film se fait avant tout ressentir grâce aux morceaux qui mènent le spectateur à la limite de l’angoisse et qui accompagnent les personnages sous leurs jours les plus sombres. Un coup de maître musical, apportant bien plus au film qu’on ne pourrait le reconnaître.

Autre question titillant la plupart des esprits : faut-il aller voir le film dans un cinéma équipé pour la projection 70 mm ? Un immense OUI ! Pour ceux qui l’ignoreraient encore, il s’agit d’un format de pellicule offrant des prises de vue dans un format plus large que le scope pour un rendu optimal aussi bien au niveau visuel que sonore. Très en vogue dans les années 50-60, il est de nos jours rarement utilisé, car très coûteux et peu de salles dans le monde sont équipées de systèmes permettant de le projeter. Tarantino rend un hommage des plus brillants à un format magnifiant son film, car oui, The Hateful Eight, bien qu’étant un huis clos où on pourrait croire qu’il y a très peu à 2voir, est une bombe visuelle. Des paysages enneigés au chalet renfermé, si bien filmé que l’on a jamais l’impression de voir deux fois le même décor, le film, déjà une claque visuelle si vous allez le voir en numérique, devient presque irréel, magnifié par le 70 mm. Ajoutons également les 8 minutes inédites supplémentaires auxquelles vous aurez droit si jamais vous choisissez ce format !

The Hateful Eight en aura refroidi plus d’un, cependant il reste l’œuvre la plus osée et personnelle du réalisateur qui y aura vu l’occasion de faire LE cinéma qu’il aime. Une pièce maîtresse parmi d’autres qui pourtant ne lui peuvent être comparées, de par les intentions de Tarantino qui a bien failli ne jamais l’achever suite à la fuite de son scénario. Quentin a bel et bien un truc, celui de titiller son fidèle public pour créer un de ces chefs-d’œuvre dont lui seul a le secret.


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.


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