Justice sans sommation


Le Chat qui fume réédite Justice sans sommation (Corey Yuen, 1990), un film dans la lignée du cinéma d’action hongkongais de la fin des années 80 revendiquant une certaine virtuosité chorégraphique mais ne rechignant pas à s’ouvrir au mélodrame et à l’humour. Un petit classique du girls with guns

Justice sans Sommation Corey Yuen tenant un pistolet

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Internal Affairs

Il y a quelque chose d’étrangement beau dans la façon dont le cinéma d’action hongkongais des années 80/90 parvient encore à nous émouvoir aujourd’hui. Derrière les coups de feu, les cascades insensées et les chorégraphies millimétrées, il reste une émotion brute, presque naïve, qui donne à ce cinéma une sincérité désarmante. Justice sans sommation (Corey Yuen, 1990) appartient à cette époque charnière où Hong Kong filmait la violence avec autant de panache et d’inventivité que de mélancholie premier degré. Plus de trente ans après, le long-métrage garde une force étonnante, à la fois comme divertissement généreux d’explosivité et comme drame familial sous tension. Le film raconte l’histoire de Mina, jeune recrue de la police hongkongaise fraîchement mariée à un supérieur hiérarchique issu d’une longue lignée de flics. Les diners du dimanche ont des airs de debriefs d’opération et la réussite de Mina attise les jalousies de ses belles-sœurs, tandis que sa belle-mère attend avec impatience l’arrivée d’un petit-fils. C’est dans ce contexte que débarque un gang de criminels vietnamiens venus braquer des institutions de Hong Kong. Lors d’une opération ratée, la tragédie s’invite près de Mina qui va être tentée par la vengeance pure et simple.

Corey Yuen dans Justice sans sommation

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Sur le papier, rien de bien transcendant : un polar vengeur, un affrontement entre le bien et le mal, des policiers contre des brigands. Mais Justice sans sommation fonctionne justement parce que Corey Yuen – artisan solide de l’action made in HK qui aura une bien triste fin de carrière avec Le Transporteur (2002), co-réalisé avec Louis Leterrier, et le nanar intersidéral DOA : Dead or Alive (2006) – sait que ce genre d’histoire tient surtout sur la manière dont les corps la racontent. Ancien acrobate et chorégraphe, le cinéaste déploie un style fluide, nerveux et toujours lisible. Les combats de Justice sans sommation sont chorégraphiés avec un sens quasi musical où chaque impact, chaque mouvement ou ruptures composent une sorte de partition. Surtout, Yuen comprend que les joutes physiques ne sont pas qu’un simple spectacle mais une mise à nu. Mina ne se bat pas seulement contre des ennemis, mais contre un système et une famille qui doute d’elle. Le réalisateur parvient à allier ce double mouvement scénaristique au sein de l’action ; l’intensité physique se mêle à la virtuosité physique. Un mélange un peu hirsute de tragédie et d’adrénaline pures.

Corey Yuen flic dans Justice sans Sommation

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Alors oui, Justice sans sommation n’a pas les moyens d’un grand film de studio, le budget est modeste et les décors parfois rudimentaires, mais Corey Yuen contourne ces limites en filmant à hauteur d’hommes (surtout de femmes) avec des cadres serrés et une caméra nerveuse. Certaines séquences sont même franchement impressionnantes comme cette course poursuite où Mina se retrouve sur le toit d’une voiture lancée à pleine bourre dans les rues de Hong Kong et qui n’est pas sans rappeler, dans une bien moindre mesure et de façon bien plus concise, la scène de l’autoroute dans Matrix Reloaded (Lana & Lilly Wachowski, 2003) dans sa manière d’envisager l’espace et les corps. Et l’énergie qui se dégage du film est communicative. On y retrouve cette patte hongkongaise : un montage sec, tendu, des explosions de violence et un refus du superflu avec une montée en puissance jusqu’au point de non-retour. La photographie est marquée par des tons légèrement bleutés et retranscrit un Hong Kong moite et désenchanté. On sent presque poindre la rétrocession de la Perle de l’Orient à la Chine, cette impression que le monde change et se dérobe sous les pieds de nos héroïnes.

Corey Yuen et Joyce Godenzi dans Justice sans Sommation

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Et justement, les personnages, notamment féminins, bénéficie d’une jolie écriture solide. À une époque où le cinéma d’action asiatique restait dominé par des figures masculines, Justice sans sommation fait le pari de s’inscrire dans le girls with guns et de mettre au centre du jeu des femmes fortes. Mina est magnifiquement interprétée par Joyce Godenzi, ancienne Miss Hong Kong, qui livre une performance sobre sur le plan dramatique mais déchainé sur le plan physique. Autour d’elle, une galerie de personnages, dont la sœur jalouse incarnée par Carina Lau, renforce cette idée d’un cinéma d’action au féminin, sans caricature ni besoin de se justifier d’exister. Corey Yuen filme ses héroïnes avec respect et à égal de leurs homologues masculins là où le sous-genre du girls with guns – ces films où les femmes endossent les rôles traditionnellement réservés aux hommes comme des policiers, des tueurs ou des mercenaires – a souvent versé dans le fétichisme et l’objectivation des femmes. Dommage, sur le plan du propos sur le sens de la famille et sur la place de la femme dans cette institution, que le fait que le mari de Mina aille contre sa volonté de ne pas avoir d’enfants – le monsieur perce un préservatif ! – sans que ce ne soit relevé par quiconque.

Reste que cela et quelques petits défauts liés une accentuation peut-être trop exacerbée de la dimension dramatique du film n’empêchent pas Justice sans sommation d’être un pur plaisir d’amateur des productions HK. S’il n’est pas un chef-d’œuvre, il demeure une pièce essentielle d’un puzzle plus large : celui d’un cinéma hongkongais croyant dur comme fer à la beauté du geste. Encore une fois, c’est cette dimension-là qui est la plus émouvante trente-cinq après. Et la redécouverte grâce à la réédition du Chat qui fume est un pur régal tant la restauration d’image est exemplaire. À part les coupes de cheveux et quelques effets de mises en scène, on croirait une image tournée la veille ! Le film, comme Une Flic de choc (C. Yuen, 1986) avant lui chez le même éditeur, est proposé dans un très bel écrin qu’est ce boitier cartonné doté d’un visuel inédit et magnifique. Au rayon des bonus, un petit sujet revient sur la conception du film et sa place dans le cinéma de l’époque, et une interview de Kai-Chi Yuen, le scénariste, complète le propos. Juste de quoi resituer Justice sans sommation dans l’histoire d’un cinéma que l’on adore redécouvrir !


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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