Malditos


Sortie en mai 2025 sur HBO Max, la série Malditos est la nouvelle création de Jean-Charles Hue – co-écrite avec Olivier Prieur et Laurent Teyssier – s’inscrivant dans son travail au cinéma sur la communauté des voyageurs. Après La BM du Seigneur (2011) et Mange tes morts : Tu ne diras point (2014), cette nouvelle série décuple son regard sur ce monde incompris sur le terrain du polar et de la tragédie familiale.

Un groupe de gitans, vus de dos dans ce qui semble être une terre vaste et sableuse, dans Malditos.

© HBO MAX

Le Sang des Gitans

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est bon de préciser que je suis moi-même issu d’une famille de « gens du voyage », comme on dit, de par mon père et que, par conséquent, je ne parlerai pas d’un monde qui me serait étranger. Et ayant passé de nombreuses discussions à tenter de démonter les clichés et le racisme décomplexé qui s’abattent sur cette communauté, j’ai toujours été surpris de voir que peu de cinéastes aient investi le sujet. Alors il y a bien Emir Kusturica ou Tony Gatlif qui délivrent une vision romantique du monde tsigane depuis longtemps, mais peu y ont posé un regard cru et réaliste. Jean-Charles Hue fait partie de l’exception confirmant la règle tant son travail, d’abord par des courts-métrages tournés au sein des gitans d’Espagne puis par ces deux longs-métrages La BM du Seigneur (2011) et Mange tes morts : Tu ne diras point (2014) qui s’attardaient sur la communauté yéniche en France, dissèque cet univers en marge de la société. Après une fiction – Tijuana Bible (2019) – et un documentaire – The Soiled Doves of Tijuana (2023) – tournés au Mexique et qui le sortaient de son monde de prédilection, Hue revient en France et chez les voyageurs pour sa série Malditos (2025) disponible sur HBO Max.

Damien Bonnard et Celine Sallette, l'air renfermé, face à face devant une habitation toute en bois, dans Malditos.

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Ces sept épisodes racontent la survie d’un clan yéniche alors que les autorités autour d’Arles, dans le sud de la France, décident de les expulser par mesure de sécurité à cause des crues, d’un terrain que les voyageurs possèdent. Sara, la cheffe de clan, et ses deux fils Jo et Tony, décident de se tourner Juan, chef du clan des andalous pour les aider avant que de vieux secrets viennent les conduire à l’affrontement. Au milieu de tout cela, Jo se mure dans le silence depuis la disparition de son père et Tony fréquente Leti, la fille de Juan. Un récit plutôt dense en sept fois quarante-cinq minutes qui ne perd jamais de vue son véritable sujet : la possible disparition du monde du voyage. En fait, Malditos pourrait être vu comme un croisement entre Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972) et Roméo et Juliette de Shakespeare dans une réalité bien réelle, celle de la communauté gitane en France aujourd’hui. Jean-Charles Hue délivre ici une fresque familiale telle qu’on en voit peu dans l’Hexagone, d’un réalisme saisissant. Alors oui, certains diront que les ficelles sont grosses ou que les rebondissements sont trop nombreux, mais en réalité, le cinéaste s’en sert pour mieux les retourner et faire entrer le spectateur lambda dans ce monde qui lui ait inconnu.

Car bien au-delà des « manouches » – terme désignant les voyageurs venus des pays germaniques avant d’être une insulte – que l’on préfère remiser près des déchèteries communales et à qui l’on vole des éléments de langage – ré-appropriation culturelle assez curieuse vu le rejet qu’on leur oppose – il y a des femmes et des hommes qui vivent les mêmes dilemmes moraux que tout un chacun. Et Jean-Charles Hue parvient, en utilisant les grands codes de la tragédie, à rendre universels les destins de ces personnages brisés pour la plupart. Surtout il questionne la force du collectif et l’esprit clanique des voyageurs : jusqu’où peuvent-ils se soutenir et résister face à une société qui veut les voir rentrer dans le moule ? Le scénariste-réalisateur va même plus loin en n’hésitant pas à montrer une certaine réalité de la communauté en interrogeant la place des femmes et à quel rang les relègue-t-on. On sent un véritable attachement au monde du voyage et une tendresse portée sur cette quête de liberté à tout prix. En cela, Malditos est une totale réussite tant elle transpire cet amour par tous les pores et parvient à brasser différents registres au sein d’une même œuvre. Jean-Charles Hue n’hésite pas à convoquer le polar et la violence pour les mêler à sa dramaturgie.

Raika Hazanavicius, assise, regardant le sol les lèvres pincées, est sous le regard de Damien Bonnard debout ; en fond, le sable s'envole et une végétation aride ; plan issu de la série Malditos.

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On parlait du rapprochement avec Le Parrain et il n’est pas impossible que le cinéaste ait révisé ses classiques avant l’écriture pour faire converger la trajectoire de Jo à celle de Michael Corleone. D’ailleurs, au fur et à mesure du récit, c’est bien lui, effacé d’abord, qui devient le cœur de Malditos. Campé par un impressionnant Pablo Cobo, Jo devient le personnage dont on aimerait voir la suite s’il devait y en avoir une ! Pour le reste du casting, mix de vrais gitan.es et de vrais comédien.nes, on peut citer Raïka Hazanavicius dans le rôle de Leti qui épate à chaque fois qu’elle apparait à l’écran, Darren Muselet dont la performance tout en animalité sous les traits de Tony rend tout imprévisible ou les vétérans Céline Sallette et Damien Bonnard en chef.fes de clans qui, si l’on sent parfois que le phrasé n’est pas tout à fait naturel, émeuvent par le passé qu’ils incarnent et qu’ils voudraient sauvegarder. Chaque séquence est une joute verbale ahurissante où les bons mots fusent – car les voyageurs ont le sens de la formule imagée qui fait mouche ! Jean-Charles Hue dirige tout ce beau monde avec précision et puissance rendant l’aventure et les accents thrillers avant tout humains.

Visuellement, Malditos est irréprochable avec une aisance incroyable dans les scènes d’actions ou les séquences de suspens et une vraie grâce quand il s’agit de filmer la nature à laquelle s’accrochent les personnages. C’est bien simple, si elle n’en avait pas besoin, la Camargue est magnifiée par Jean-Charles Hue à chaque scène de la série. Comme il s’agit ici de la troisième production française de HBO Max, on peut dire que la firme américaine a eu le nez creux en confiant des moyens aussi amples au réalisateur français pour un résultat qui devrait faire figurer Malditos très haut dans nos classements annuels et que c’était un pari osé, pour un investisseur étranger, que d’embrasser le récit sur une communauté si dévoyée en France. Toujours est-il que l’on vous encourage à vous jeter sur cette fresque de chez nous sortie il y a quelques mois, qu’on ne pouvait décemment pas passer sous silence dans nos colonnes, et qui fera peut-être raviser quelques jugements sur une communauté dont le seul crime est de vouloir vivre comme elle l’entend.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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