Pour conclure une année 2024 riche en proposition sérielles, Prime propose une nouvelle adaptation du personnage culte de James Patterson avec Cross (Ben Watkins, 2024). Après Morgan Freeman et Tyler Perry, Aldis Hodge se glisse dans les vêtements de l’enquêteur diplômé en psychologie dans cette version largement réactualisée…
Croix de bois, croix de fer
Le personnage n’est pas forcément très connu en France mais le détective Alex Cross est une figure littéraire importante dans le roman policier américain. Héros d’une trentaine de livres, il a été adapté à trois reprises au cinéma, dans Le Collectionneur (Gary Fleder, 1997), Le Masque de l’araignée (Lee Tamahori, 2001) sous les traits de Morgan Freeman, puis dans Alex Cross (Rob Cohen, 2012) sous ceux de Tyler Perry. Alors que ce dernier devait à l’origine déclencher une franchise, l’échec du film a refroidi les ardeurs des producteurs. C’est donc douze ans plus tard que l’enquêteur, cette fois incarné par le peu connu quoi que charismatique Aldis Hodge, revient à l’écran, cette fois en format série et sur Amazon Prime Video dans Cross. Si la série invente un nouvel antagoniste au personnage, elle reprend peu ou prou les éléments essentiels de la saga littéraire. L’histoire commence donc par le meurtre inaugural de sa femme Maria sans que le responsable ne soit arrêté ni même inquiété. Un an plus tard, Alex Cross élève ses enfants avec l’aide de sa mère, Regina, et se met à enquêter sur un individu semblant s’inspirer de tueurs en série célèbres pour assassiner plusieurs victimes. Dans le même temps, une personne rentre en contact avec le policier : celle-ci aurait à voir avec la mort de son épouse.
Un programme chargé donc qui démarre étonnamment de façon très – trop – calme. Malgré la présence indéniable de l’acteur principal, d’une réalisation extrêmement soignée et de sous-textes intéressants sur lesquels nous reviendront, il faut avouer que les deux premiers épisodes ne passionnent guère et qu’il faut s’accrocher pour rentrer dans le cœur de Cross. Heureusement, la lenteur et le manque de caractérisation des différents personnages sont améliorées dès un troisième épisode qui rebat toutes les cartes. La série se bonifie donc d’épisode en épisode et, si l’on ne peut mettre sous le tapis les trop nombreuses facilités – on peut même parler de deus ex machina par endroits – il faut reconnaître qu’elle devient vite addictive. Du point de vue de l’enquête, la série de Ben Watkins ne réinvente pas l’eau chaude, mais elle a l’intelligence de proposer une lecture que n’avait pas eu les premières adaptations : faire de ce flic afro-américain une caisse de résonance des mouvements Black Lives Matter qui protestaient contre le racisme au sein de la police. Cross – saison 1 propose donc un sous-texte politique plutôt pertinent en cette époque trouble pour les États-Unis – mais pas que – qu’il assume et met au cœur de ses enjeux.
Ainsi la série s’inscrit dans un contexte sociétal palpable où les questions de racisme sont toujours prégnantes. La première victime du serial killer est un homme noir, ce qui provoque l’ire des quartiers car la police est suspectée de bavure. Les hauts gradés de la police cherchent des issues rapides sur ce premier meurtre quitte à s’arranger avec la vérité : autant de petites actions qui dressent en creux le portrait d’une Amérique parfois corrompue et toujours fracturée. Et là où Ben Watkins excelle, c’est justement dans ces moments de tension où le rapport entre dominés et dominants est mise en exergue – Cross qui se considère comme étant resté fidèle à ses modestes origines bataille littéralement avec ses supérieurs mais aussi avec ceux restés en bas de l’échelle. De là à dire que la nouvelle production Amazon Prime est un pamphlet sur la question raciale étasunienne, non. Elle compense toutefois de façon surprenante deux intrigues policières qui, elles, sont bien plus convenues et cousues de fil blanc. Ce contexte social va jusqu’à donner un sens aux motivations des bad guys de l’histoire. La question du deuil, beaucoup plus personnelle à Alex Cross, est également traitée avec une douceur inattendue – on pense à la jolie scène du karaoké, vite interrompue par la menace extérieure – et un certain réalisme quant à l’accompagnement psychologique nécessaire.
En définitive, cette première saison de Cross n’est clairement pas la série de l’année – Netflix avait atteint plus de profondeur avec Monsters : L’Histoire de Lyle et Erik Menéndez (Ryan Murphy, 2024) par exemple – mais elle convainc suffisamment pour que l’on guette de près l’arrivée annoncée d’une seconde temporalité qui, on l’espère, ajustera quelques petits points liés à l’enquête en elle-même. En attendant on apprécie avoir découvert de nouvelles têtes d’affiche solides : Aldis Hodge, affûte comme jamais, joue aussi bien de sa physicalité que d’émotions contenues, Samantha Walkes est touchante dans son rôle de nouvelle compagne de Cross, Eloise Mumford est désarmante dans celui de la victime à retrouver, et Ryan Eggold en tueur sadique, est dans un jeu qui, s’il est parfois à la limite de friser le trop plein, inquiète. On a aimé également la patine très légèrement rétro de la série qui emprunte à David Fincher et qui la différencie d’autres productions Prime – n’est-ce pas Les Anneaux de Pouvoir (J.D. Payne & Patrick McKay, depuis 2022) – lisses à souhait, sans aspérités visuelles. La plateforme de Jeff Bezos réussit à imprimer la figure d’Alex Cross, là où les deux longs-métrages avec Morgan Freeman n’étaient qu’un moyen à peine dissimulé de surfer sur le succès de Seven (D. Fincher, 1995) et où le film avec Tyler Perry était un ratage en bonne et due forme. La présente série n’a plus qu’à transformer l’essai dans les années à venir…