Sueurs Froides   Mise à jour récente !


À la faveur d’une nouvelle édition 4K, il est temps pour Fais Pas Genre de se pencher sur une œuvre aussi incontournable que commentée : Sueurs Froides (Alfred Hitchcock, 1958). Une copie flambant neuve qui permet de redécouvrir ce jeu de dupes entre James Stewart et Kim Novak et le génie de sa mise en scène, toujours intact après bientôt soixante-dix ans…

Plan de profil sur Kim Novak, avec pour fond la toile rouge qui recouvre les murs du célèbre restaurant du film Sueurs froides.

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Vertical Limit

Se retrouver devant son clavier après revisionnage d’un classique comme Sueurs Froides, c’est comme devoir écrire sur La Joconde de Vinci ou la Symphonie n°40 de Mozart : il y a des évidences qui obligent à l’humilité pour toute tentative de commentaire. Le problème se pose régulièrement sur notre site – comme dernièrement avec Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972) – où nous essayons toujours d’avoir un regard nouveau quand nous traitons des grands chefs-d’œuvre du cinéma. C’est pourquoi, pour Sueurs Froides, au lieu de parler pour les convaincus et les initiés, je vais faire un pas de côté et tenter de faire un papier en forme de recommandation à mon enfant qui, déjà passionné par le septième art, voudrait être aiguillé sur les classiques à découvrir…

Mon cher L.

Du haut de tes bientôt douze ans, tu peux d’ores et déjà dire que tu en as vu des films ! Si je peux m’enorgueillir de t’avoir montré quelques petites pépites voire de t’avoir transmis le virus du cinéma, c’est bien ta curiosité qui t’amène à explorer cet univers quasi infini. Tu me demandes souvent ce que c’est le cœur du cinéma : je pense pour ma part que c’est une affaire de fascination. Rester bouche bée devant une œuvre. C’est souvent le cas quel que soit l’art en question. Et dans cette optique, il y a un film qui illustre à merveille cette idée précise : Sueurs Froides, que certains appellent Vertigo, son titre original. Tu commences à montrer un intérêt pour les films à suspense – c’est normal à ton âge, les films d’horreur vont bientôt être un prochain défi ! – et Alfred Hitchcock pourrait être une bonne porte d’entrée vers ce genre. Hitchcock, c’est un très grand cinéaste des années 20 à 80 – oui le siècle dernier – qui a réalisé plus de cinquante films ayant influencé des tas d’autres réalisateurs dont Steven Spielberg – celui qui a fait E.T. L’Extra-terrestre (1982), Jurassic Park (1993) ou Les Dents de la Mer (1975) que je t’ai déjà montré. D’ailleurs dans ce film de requins, il y a ce zoom un peu bizarre où le décor se déforme, que l’on appelle travelling compensé et qui est un procédé plus ou moins inventé par Hitchcock dans Sueurs Froides – d’aucuns l’appellent même « l’effet Vertigo ». Bref, ce film, c’est un peu l’alpha et l’oméga du cinéma. D’ailleurs il truste souvent les deux, trois premières places des classements des meilleurs films de tous les temps, c’est dire son importance !

James Stewart, chapeau sur la tête et regard interrogateur, se tient dans un couloir, à moitié dans l'ombre, un papier manuscrit dans la main, dans Sueurs froides.

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Tu vas me demander ce que ça raconte, alors je vais tâcher d’en dire assez pour te donner envie, sans ne rien gâcher aux nombreux retournements de situations. L’histoire se passe à San Francisco, dans les années 50. Un ancien flic, Scottie, se sent coupable suite à la mort de son collègue et développe depuis une peur du vide, le fameux vertige. Alors qu’il vit reclus, un ami d’enfance lui demande de suivre sa femme Madeleine car il pense qu’elle est possédée par l’esprit de sa grand-mère. Scottie commence alors à suivre la jeune femme qui passe ses journées à visiter un musée et à observer un portrait de son ancêtre. Après lui avoir sauver la vie, Scottie tombe amoureux de Madeleine. Sauf que tu penses bien que rien ne va se passer comme prévu et que la relation entre les deux va être beaucoup plus tordue ! Tu verras, c’est un film très étrange, tant par ses thématiques que par sa forme. Hitchcock y invente quasiment le cinéma moderne sous nos yeux en jouant avec les techniques à sa disposition. Le fameux travelling compensé – qui est un zoom fait en même temps qu’un mouvement de recul de la caméra, ou l’inverse – lui permet d’illustrer à merveille le sentiment de vertige et l’usage du VistaVision combiné à la palette de couleurs du Technicolor, car à l’époque on ne tournait pas sur du numérique, donne toute sa patine à Sueurs Froides. Cela participe à l’idée de fascination dont je parlais, la représentation du vertige, la beauté, tout simplement, de la mise en scène.

Car surtout, Hitchcock n’est pas dans une esbroufe visuelle dans la mesure où chacun de ses dispositifs est au service de son récit. La beauté plastique illustre avant tout les troubles de ses personnages et l’ambiguïté du récit qui oscille entre réel et fantastique. Alors que – et tu le verras plus tard – dans Psychose (1960), le cinéaste britannique nous plongera brutalement dans une réalité crue, dans Sueurs Froides il fait le choix de l’onirisme et du trouble. Il y a quelque chose d’hypnotique dans ce film qui, j’en suis sûr, te captivera. La forme permet à Alfred Hitchcock de développer des thématiques que tu pourras t’amuser, plus tard, à recouper avec l’ensemble de sa filmographie : la dualité des personnages, les jeux entre eux, la représentation de la femme – un poil datée, j’en conviens ! – et notre propre condition de spectateur-voyeur. J’aurais pu tout aussi te parler de Fenêtre sur cour (1954), La Mort aux trousses (1959), Les Oiseaux (1963) ou Le Crime était presque parfait (1959), mais Sueurs Froides condense plus que jamais l’essence de son cinéma dans la mesure où son esthétique ne s’est jamais autant accordée à son propos. Sueurs Froides est un piège millimétré qui se referme sur son personnage, et comme toujours avec Alfred Hitchcock, le spectateur prend un mal en plaisir à y assister ! Encore une fois, la précision fascine.

Et puis comment ne pas te parler des sublimes James Stewart et Kim Novak ? Stewart, c’était un peu le Tom Hanks des années 30 à 80, une sorte de Monsieur-Tout-Le-Monde que le public adorait. Avec Sueurs Froides, il atteint de nouveaux sommets sous la caméra de Hitchcock – qui l’avait déjà dirigé plusieurs fois – tour à tour fébrile et séducteur, comme préfigurant l’antihéros du cinéma des années 60 et 70. Kim Novak, elle, prouve ici la grande comédienne qu’elle était puisqu’elle doit composer un double rôle pour le moins complexe. Je pourrais te citer la musique emblématique de Bernard Herrmann ou, pour sortir du film un instant, la magnifique affiche de Saul Bass, mais je préfère te laisser quelques surprises ! Il te faut regarder absolument Sueurs Froides pour toutes ces raisons et te laisser porter par une intrigue diabolique à souhait, qui cache en son cœur un formidable récit amoureux. Car le vertige du titre est autant une caractérisation du personnage de Scottie qu’une promesse d’obsession démesurée. C’est toute la force du cinéma concentrée ici en un peu plus de deux heures. Une leçon comme on dit… Tout ceci est de l’ordre de la fascination.

Blu-Ray 4K du film Sueurs froides édité par Universal.L’occasion de la ressortie de Sueurs Froides dans un nouveau master 4K édité par Universal Studio est trop belle pour ne pas te jeter dessus ! Lors de sa première édition Blu-Ray, le film était encore entaché de poussières et manquait de stabilité. Là, un vrai travail de restauration a été exécuté, offrant une nouvelle vivacité aux couleurs de la photographie de Robert Burks – les contrastes et la saturation y sont plus poussés – et faisant de cette édition, la copie la plus définitive et fidèle du long-métrage. Tu y retrouveras quelques bonus racontant toute la genèse de Sueurs Froides et l’importance de son héritage encore en 2024, ainsi que des extraits des entretiens entre Hitchcock et François Truffaut – oui, celui qui a fait Les 400 Coups (1959) – et un commentaire audio du regretté William Friedkin – on verra un peu plus tard pour ce cinéaste ! Bref, sûrement l’édition la plus complète sur ce chef-d’œuvre que, je suis sûr, tu ajouteras à ta liste des films à voir. Après cette brève recommandation, je te laisse réfléchir et songer au génie de Sueurs Froides, comme je l’ai fait avant toi, et imaginer l’infini de ce qu’il te reste à découvrir… C’est fascinant.

Avec amour. Papa.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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