Shadowz propose en cette rentrée 2024 une petite salve de productions du monde entier dont Laced (Kyle Butenhoff, 2023), un huis clos aux influences hitchcockiennes revendiquées. Plutôt prometteur sur le papier – le dispositif minimaliste avait tout pour retenir notre attention – mais laborieux dans son exécution : critique.
Le Crime était loin d’être parfait
Une maison isolée sous une tempête de neige, une tentative de meurtre qui se dessine dès les premières images : le décor est posé pour Laced qui n’a plus qu’à dérouler son concept malin pour divertir son spectateur. Kyle Butenhoff, qui réalise, écrit et interprète la « victime », cite ouvertement Le Crime était presque parfait (Alfred Hitchcock, 1954) pour mettre en place ses personnages et la mécanique de son intrigue. La caméra se pose donc sur Molly qui attend patiemment le retour de son mari Charlie. Elle prépare un repas particulièrement assaisonné puisqu’elle compte l’empoisonner, le tuer et ainsi mettre fin à une relation éminemment toxique. Mais, parce que sinon ce serait trop facile et pas drôle, rien ne va se passer comme prévu et les choses vont déraper. Il faut admettre que ces premières minutes sont plutôt prenantes tant et si bien qu’on se laisse embarquer sans difficultés. Le petit suspens quant au funeste plan de Molly fonctionne sur les spectateurs avides de punitions douloureuses que nous sommes. Laced aurait pu être un court-métrage rondement mené avec la mécanique du meurtre comme intérêt et la mise à mort de Charlie comme point d’orgue. Or son format long joue contre lui, et Laced de lasser dès la fin de son premier quart d’heure…
Certes le film fait perdurer la tension, certes Kyle Butenhoff le remplit à ras bord de rebondissements en tous genres. Justement là où Laced aurait pu/dû rester ce huis clos en face à face, la multiplicité soudaine des personnages rompt le pacte que nous avions signé lors des premières minutes. Les interventions successives de la maitresse de Mollie puis de son frère ont pour effet d’amoindrir la portée du geste initial. Alors le long-métrage devient un interminable couloir de dialogues appuyant artificiellement les motivations des un.es et des autres, tentant de créer un background à des personnages dont on n’en attendait pas autant. Au lieu de redynamiser le récit et de rebattre les cartes, ces apparitions agacent le spectateur et dispersent les enjeux inutilement. Il faut souligner que les protagonistes ne sont pas aidés par la disparité des talents des comédien.nes. Si Dana Mackin fait le job dans la peau de Mollie et que Zach Tinker, sous les traits de son frère, est solide, les deux autres ont bien du mal à convaincre. Kyle Butenhoff, le réalisateur donc, n’est pas crédible une minute dans le rôle de Charlie et a plutôt tendance à en faire des tonnes pour un résultat franchement médiocre. De même, Hermione Lynch, véritable sosie américain de notre Camille Cottin nationale, peine à s’imposer dans le rôle de Victoria, censée tirer les ficelles de tout cela.
Et bien que le film sache créer un sentiment de malaise dès ses premiers photogrammes, on ne peut pas dire que la mise en scène de Kyle Butenhoff sache profiter de toutes les possibilités de son postulat de départ. L’isolement de la maison et les conditions climatiques ne sont jamais exploités autrement que pour faire quelques plans larges sympathiques entre deux scènes, un potentiel en partie gâché qui retire toute possibilité d’assoir un sentiment de confinement. Pour le reste, là où entre les mains d’un David Fincher par exemple, Laced aurait pu être un bijou de découpage millimétré et de cadres soignés. Entre celles de Butenhoff, tout reste bien sage voire brouillon par endroits : plans débullés, contre-plongées moches, montage à la limite du bordélique, incapacité à rendre compte de la topographie de la maison, tout est bien laborieux. Alors que le spectateur est déjà invité à avaler des couleuvres sur les relations entre les personnages – les abus supposés de Charlie et la romance jamais crédible de Mollie et Victoria – la réalisation n’aidera jamais véritablement à rendre l’expérience plus immersive ou réussie. Le cadre quasi théâtral du long-métrage aurait pu être la source de sa singularité, il devient au fur et à mesure son pire atout. Alors, devant Laced qui est disponible en août sur Shadowz et dont on retiendra la jolie affiche, on pense beaucoup à toutes les influences certaines de son auteur. On a déjà évoqué l’influence hitchcockienne avec Le Crime était presque parfait, mais on songe aussi à La Corde (1948) ou Fenêtre sur cour (1954). De manière plus sporadique, Misery (Rob Reiner, 1990) ou Blood Simple (Joel & Ethan Coen, 1985) sont convoqués pour compléter une note d’intention qui n’ira malheureusement pas plus loin qu’une simple intention…