Le Chat qui fume réédite, près de vingt ans après le fameux DVD signé HK Vidéo, Les Menottes Rouges (Yukio Noda, 1974), soit le cinéma d’exploitation japonais résumé en un seul film. Ce récit policier qui ne fait pas dans la dentelle – effusions de sang dans tous les sens, hystérie collective, etc – ose tout. Pour le meilleur et surtout pour le pire.
Tokyo, nid de cons
Tiré d’un manga de Tôru Shinohara, La Femme de la Section Zéro, Les Menottes Rouges est, comme La Femme Scorpion (Shun’ya Ito, 1972), l’incarnation d’un versant grindhouse du cinéma nippon. Loin de Yasujiro Ozu ou d’Akira Kurosawa et proche de ce qui inspirera plus tard Quentin Tarantino dans son diptyque Kill Bill (2003-2004), ce cinéma fait quasiment office de témoignage d’une époque encore bien loin de celle de MeToo. Bien que le film de Noda ait un discours pertinent sur la place de la femme dans la société des années 70 – nous y reviendrons – son exécution dans l’outrance et un voyeurisme à peine masqué rend vaine toute tentative de propos. Une femme policière aux méthodes expéditives poursuit les prédateurs en tous genres. Son arme de prédilection ? Une paire de menottes rouges qu’elle utilise pour trancher des gorges. Après un énième dérapage, elle est jetée en prison par sa hiérarchie mais ressortie illico quand la fille du futur premier ministre japonais est kidnappée par un gang. Pour éviter tout scandale, il est demandé à la femme policière – qui n’a pas de nom – de récupérer la victime et de tuer tous les voyous. Voilà donc notre inspecteur Harry japonaise lancée aux trousses d’un groupe de violeurs tous plus bêtes les uns que les autres…
Dès sa séquence introductive, Les Menottes Rouges propose des choses. Couleurs chatoyantes, scope élégant fidèlement retranscrits par le très beau master proposé par Le Chat qui fume. Et la présence magnétique de Miki Sugimoto illumine d’emblée : dans un rôle taiseux et bad ass, elle assure sur toute la durée du film et son personnage de flic vengeresse dont on ne connait jamais réellement les véritables projets, devient rapidement iconique. De même, la réalisation de Yukio Noda est d’une grande générosité sur le plan du spectacle : poursuites, échanges de tirs, geysers de sang, etc. Plus excessif qu’un Inspecteur Harry (Don Siegel, 1971), le long-métrage évite tout de même les élans psychédéliques de La Femme Scorpion. Même si son montage est parfois frénétique avec des inserts venant illustrer les traumas des protagonistes, des zooms et autres coupes brutales, tout s’avère être au service de sa mise en scène et de son intelligibilité. Enfin, la tentative de peinture d’une société en mal de repères dans le Japon des années 70 n’est pas complètement ratée. En effet, les protagonistes incarnent une jeunesse délaissée et les institutions ne sont pas épargnées puisque l’on montre volontiers la corruption dans leurs rangs. Surtout, la place des femmes, brutalisées par l’homme, est un axe intéressant, d’autant qu’elles finissent par reprendre le contrôle dans le dernier acte.
Le problème n’est pas tant le propos – en 2024, difficile de ne pas y voir un discours féministe en avance sur son temps – mais l’exécution. Dès sa séquence introductive où le personnage de Miki Sugimoto est déshabillée par un prédateur sexuel, on sent chez le cinéaste japonais une volonté de filmer le corps de son actrice sous toutes les coutures, et ce même s’il subit les pires outrages. La gratuité de ces moments n’est rien comparée à ce qui suit puisque le film va montrer trois séquences de viols en temps réel et filmées avec une complaisance non dissimulée. C’est ici que Les Menottes Rouges perd en crédibilité sur ses intentions réelles, sans compter que le gang de voyous est montré certes comme une incarnation d’un certain désarroi dans la jeunesse japonaise de l’époque, mais surtout avec un degré de bêtise assez inquiétant. Les uns et les autres passent le plus clair de temps libre – quand ils ne violent pas donc – à gueuler et se taper entre eux. Ce sont ces moments qui versent dans l’hystérie la plus totale et qui paraissent interminables. Alors oui, les bad guys sont punis à la fin par une police qui ne s’encombre plus de la notion de justice équitable, néanmoins le film n’approfondit pas tellement l’idée que leurs actes ignominieux puissent être traumatisants pour leurs victimes. Pire, en mettant en avant ces passages infâmes tels des morceaux de bravoure, il repousse les limites de mauvais goût et de la connerie. On a connu des rape and revenge plus subtils et équilibrés.
L’édition du Chat qui fume se pare d’un joli boitier cartonné reprenant et modernisant l’une des belles affiches japonaises des Menottes Rouges. L’image est donc retranscrite à merveille tant les couleurs, les contrastes et la patine des années 70 sont éclatants. Reste que l’on aurait aimé des suppléments peut-être plus approfondis et une mise en contexte plus poussée malgré l’intervention de Fabien Mauro. Les Menottes Rouges s’avère être une curiosité, parfois mal placée compte tenu des haut-le-cœur que certaines séquences provoquent. Un énième témoignage – et c’est là le job de cet éditeur – d’une époque heureusement en passe de s’éteindre où l’on faisait peu de cas des corps des femmes et où, au nom du sacrosaint spectacle, on pouvait caser des paires de fesses ou de seins dans tous les coins de l’image et tenter de rendre « divertissant » un viol en réunion… On retiendra tout de même une mise en scène efficace dès lors que Yukio Noda daigne s’éloigner d’un érotisme franchement malsain. Et pour finir sur une note plus légère, il est indispensable de vous rappeler que le film fut exploité en France à sa sortie sous le titre L’Aubergine était presque farcie. Faites-en ce que vous voulez…