Les spectateurs des Hallucinations Collectives (Lyon) ont pu découvrir en compétition Silent Night (Camille Griffin, 2021), une comédie horrifique certes efficace mais dont la catégorisation reste néanmoins discutable.
Vive le vent, Vive le vent, Vive le vent toxique
Silent Night (Camille Griffin, 2021), c’est la « comédie horrifique » selon l’expression consacrée dont les réseaux parlent en boucle depuis quelques années et qui a déjà pas mal tourné dans le milieu très fermé des festivals dédiés aux cinémas de genres. Présenté notamment au dernier TIFF (Toronto International Film Festival) et gagnant du Grand Prix du Jury au non moins réputé Festival de Sitges, le long-métrage est venu faire escale chez nous dans l’Hexagone à l’occasion d’une présentation en Compétition au Festival des Hallucinations Collectives de Lyon. En mettant le grappin sur cette exclusivité, les “Hallus” ont fait fort, car Silent Night, qu’on se le dise, ne sortira pas en salles en France : c’était donc l’occasion ou jamais de le découvrir sur grand écran. Pour ne pas réduire l’attente autour de sa présentation, ce premier long signé Camille Griffin jouit d’un casting particulièrement accrocheur. On y retrouve surtout Keira Knightley, mais aussi Matthew Goode – qu’on a déjà croisé dans A Discovery of Witches (2018-2022) et Downton Abbey (2014-2015) – Roman Griffin Davis – le petit garçon de l’excellent Jojo Rabbit (2019) qui n’est autre que le fils de la réalisatrice – ou encore la très à la côte Lily-Rose Depp. L’intrigue est au premier abord assez basique : des amis se réunissent en famille pour célébrer Noël tous ensemble, espérant mettre de côté les tensions quotidiennes. Ainsi se présente leur pacte, célébrer les fêtes dans l’amour et la convivialité ! Pourtant, le contexte actuel ne s’y prête pas, mais alors pas du tout.
L’ambiance est en apparence légère, le sarcasme va bon train, l’humour pique à vif entre ces amis de longue date qui auraient fait n’importe quoi pour passer Noël ailleurs, mais qui se retrouvent donc dans cette grande maison de campagne. Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette année ? Parce que c’est la dernière. [Attention spoiler] La réalisatrice/scénariste propose ici une situation pré-apocalyptique (en opposition aux centaines de films post-apocalyptiques) dans laquelle un nuage toxique – dont l’origine naturelle ou humaine n’est pas explicitée – va de façon imminente s’abattre sur l’Angleterre après avoir déjà décimé d’autres pays. L’originalité de Silent Night est de proposer une échappatoire en contradiction totale avec tous les films de survival. Le gouvernement britannique a distribué des pilules à tous ses sujets, pour que ces derniers partent paisiblement, plutôt que de mourir asphyxiés et autant dire que ce suicide collectif ne fait pas l’unanimité dans la bande d’amis. Néanmoins, cette pré-apocalypse est loin d’être l’attraction principale du récit, servant plutôt de prétexte pour développer des situations à la fois graves et cocasses. [Fin du spoiler]
En cochant toutes les cases de l’intersectionnalité (classe sociale, ethnicité, sexualité), le film se positionne en parfait élève de la diversité sans pour autant y appuyer tout son humour. Griffin offre un travail d’écriture comique impressionnant, une frivolité ambiante qui fait souvent oublier la menace imminente qui pèse sur le récit. La metteuse en scène a su trouver une justesse de ton qui empêche le long-métrage de virer au ridicule, maintenant jusqu’au bout un humour noir assez décapant. Néanmoins, la catégorisation du film en « comédie horrifique » reste trompeuse, car si l’humour est omniprésent, il n’est pas réellement question d’horreur ou de fantastique dans Silent Night – à moins que quelques gouttes de sang suffisent à être classifié comme tel. On pourrait parler davantage de film d’anticipation, peut-être de science-fiction même si la notion d’attaque chimique n’en est plus de nos jours, mais on lorgne au final bien plus du côté de la comédie de mœurs. La place de cette production dans la programmation d’un festival spécifiquement dédié au genre fantastique a donc de quoi étonner. Toutefois, quand on sait que le public l’a plébiscité aux Hallus, on se dit que ce bon vieux débat de classification de ce qui fait genre ou non est peut-être éculé. C’est ce qu’ici on essaie de défendre depuis qu’on existe, les pas de côté n’ont pas besoin d’être des bons, il suffit parfois d’un rien pour qu’un film se décale. Et ce Silent Night, loin d’être borné par les codes habituels, est suffisamment différent, pour que cette différence soit célébrée, ici, comme en festival.