Film hybride navigant entre le western et le thriller social, les éditions Rimini nous proposent de redécouvrir Le Salaire du Diable (Jack Arnold, 1957), l’un des objets les moins connus de l’immense filmographie de Jack Arnold.

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Ouest Side Story
Bien qu’il se soit principalement illustré dans la science-fiction avec des films comme L’étrange Créature du lac noir (1954) ou L’homme qui rétrécit (1957), il ne faut pas oublier que Jack Arnold est aussi un artisan solide de la série B américaine dont la filmographie embrasse la totalité des genres du cinéma. Si l’on peut comprendre aisément que ses longs-métrages de science-fiction, dont les qualités créatives sont indéniables, ont plus particulièrement marqué les esprits, on ne peut pas en dire autant de ses films plus « classiques ». En effet, ils n’ont pas la même aura que ses travaux fantastiques, mais ils ont un style assez particulier pour démontrer que Jack Arnold est bien plus qu’un simple faiseur : un véritable artiste. Le Salaire du Diable (1957), fait partie de cette seconde itération de son œuvre. Le film, dans ses prémisses, fait preuve d’un classicisme très hollywoodien pour ensuite changer brusquement de registre. Et c’est précisément cette hybridation des genres qui le rend aussi fascinant à regarder.

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Le Salaire du Diable narre l’enquête du shérif Ben Sadler dans une petite ville de l’Ouest américain où a eu lieu la mort d’un migrant mexicain. Ses soupçons se portent sur les hommes de main de Virgil Renchler (Orson Welles), propriétaire du ranch The Golden Empire Ranch. Plus son enquête avance et ses soupçons s’avèrent justes, plus il est confronté à l’hostilité de la population qui craint que la ville ne soit ruinée par la fermeture du ranch. L’une des originalités du film est d’abord d’avoir donné la possibilité, par l’entremets de son récit, aux migrants mexicains de s’exprimer sur leur situation d’immigrés aux Etats-Unis. C’est chose suffisamment rare pour être souligné tant, à l’époque, les westerns traitaient plutôt d’une Amérique triomphante, valorisant ses pionniers, ses récits de conquêtes et d’expansion. Jack Arnold prend donc ses contemporains à contre-pied, préférant s’intéresser à une Amérique des marginaux, des opprimés, des chassés. Sachant que le long-métrage a été tourné en plein programme bracero – une série de lois du travail aux États-Unis entre 1942 et 1964 octroyant un nombre limité de permis de travail temporaire aux migrants mexicains – Arnold a choisi de coller au plus près d’une certaine réalité sociale. C’est pour cela que même s’il est souvent considéré comme un western, Le Salaire du Diable demeure bien plus que cela, exprimant sa singularité jusque dans ces codes, déplaçant ceux du western traditionnel vers le thriller social engagé. Cette mutation s’accompagne par la mise en scène, délaissant peu à peu les plans d’ensemble et les grands espaces pour laisser place à des cadrages serrés augmentant la sensation de huis clos, proche des personnages et de leurs enjeux. Le mélange de genres peut s’avérer (souvent) un jeu dangereux, or le réalisateur parvient à jouer parfaitement sur les deux tableaux, grâce à un récit emballant et au rythme entraînant.
Le Salaire du Diable est certes une réussite sur le plan visuel, il suscite aussi la curiosité pour son casting improbable pour ce genre de production. Si la stature de Jeff Chandler, grand habitué des westerns, parvient à susciter des émotions lors des scènes de tensions, c’est vraiment la présence imposante de Orson Welles qui détonne ici. Il s’agit du premier rôle de Welles dans un western et la légende raconte qu’il aurait accepté de jouer les cowboys pour des raisons financières : il n’en demeure pas moins qu’il livre, fidèle à son habitude, une performance tout en nuances qui rend son personnage de riche propriétaire terrien aussi étrange qu’effrayant. Cette œuvre aussi originale qu’essentielle étant injustement méconnue, on ne saura que remercier Rimini Editions de nous offrir une réparation à cette injustice. Fidèle à leur modèle et standard, leir Blu-Ray s’orne d’un master de grande qualité, agrémenté de suppléments appréciables tels que la bande annonce originale du film, ainsi qu’une interview de Florent Fourcart – historien spécialiste du cinéma – qui pendant une vingtaine de minutes revient sur le long-métrage et les thèmes sociaux qu’il aborde. De quoi parfaire la redécouverte de ce western hors normes.