La Maison


Anthologie fantastico-horrifique en stop motion, La Maison (2022) se révèle être une pure bizarrerie, mais surtout la meilleure surprise de ce début d’année. Pour une fois que Netflix voit juste !

Trois individus, un homme, un garçon et une femme tenant un bébé, sont vus de dos, au bout d'un couloir juste éclairé par une petite fenêtre face à eux, au niveau d'un escalier ; scène du film La Maison.

© Netflix

Une bâtisse à toute épreuve

Le titre, des plus génériques, ne fait certainement pas rêver et ne rend surtout pas justice à l’ovni d’animation que représente La Maison. Mais il faut certainement aller voir au-delà, quelques aperçus des images sur Netflix suffisant à attiser pleinement la curiosité. Loin de l’ambiance festive du stop-motion de Shaun le mouton ou Wallace et Gromit des studios Aardman, le cinéma d’animation britannique nous propose cette fois avec cette anthologie un mélange des genres à la fois sinistre et satirique mais aussi enivrant et divertissant. Collaboration entre Netflix Animation et le studio londonien Nexus, La Maison se divise en trois épisodes se déroulant à différentes époques et ayant pour fil rouge la même maison. Chaque segment est réalisé par un ou deux metteurs en scène, tous issus du court-métrage à l’international. Si certaines anthologies se montrent peu cohérentes – voire complètement hasardeuses par choix, tel récemment The Mortuary Collection – celle qui nous occupe aujourd’hui offre une cohérence impeccable, guidée par le solide scénario d’Enda Walsh. Du côté du casting voix, on retrouve par ailleurs du beau monde, dont Helena Bonham Carter et Mia Goth. Vendeur ou pas sur le papier, La Maison recèle de surprises une fois le visionnage entamé.

La petite famille du film La Maison, composée du père, de la mère, du petit garçon et du bébé dans les bras maternels, prennent la pose pour une photographie en extérieur, on voit le photographe en amorce à droite.

© Netflix

Le premier segment (Emma De Swaef, Marc James Roels) est de loin le plus réussi autant sur le plan scénaristique que formel. Au 19ème Siècle, Mabel, ses parents et sa petite sœur vivent dans la pauvreté. Quand un étrange architecte propose à la famille d’échanger gratuitement leur vieille bâtisse contre un manoir tout neuf, le père saute sur l’occasion sans se poser de questions. La petite famille emménage, mais le manoir à l’ambiance gothique ne cesse d’être en travaux, rendant les pièces méconnaissables du jour au lendemain. Tandis que les parents semblent obnubilés par leurs nouvelles possessions, Mabel et sa petite sœur ne voient pas tous ces changements d’un bon œil. En plus de son rapport philosophique à la matérialité, le désir et l’obsession qu’on retrouvera en filigrane dans les autres segments, cet épisode met en avant les personnages les plus physiquement singuliers et effrayants, et fait tomber le spectateur dans un chaos horrifique bien plus déroutant que ce que la majorité des films d’horreur propose aujourd’hui. Ça commence donc très fort ! Même si les deux prochains segments ne sont pas en reste, l’originalité du premier reste indépassable.

A gauche, un rat portant un costume cravate nous regarde droit dans les yeux ; à droite, à l'arrière-plan, une silhouette large vue de dos grimpe un escalier ; plan issu du film La Maison.

© Netflix

Le deuxième quant à lui, réalisé par la suédoise Niki Lindroth von Bahr, situe l’action à notre époque, mais dans un monde de rats anthropomorphiques. On y retrouve la maison très modernisée suite aux travaux qu’un promoteur immobilier a lui-même réalisés, faute de budget. Mauvaise surprise, peu avant d’ouvrir la maison aux visiteurs et acheteurs potentiels, les murs se révèlent infestés de cafards et autres insectes répugnants. S’engage alors une course contre la montre pour se débarrasser de la vermine. Ce segment se montre encore une fois critique envers l’appât du gain, même si l’approche s’avère radicalement différente du premier. Le thème des apparences trompeuses reste bien ancré, jusqu’à la question finale : qui est réellement la vermine ? Le troisième et dernier épisode de Paloma Baeza localise enfin l’intrigue dans un futur proche post-apocalyptique, après la montée des eaux. Rosa, propriétaire de la fameuse maison, s’entête à la rénover malgré la crue qui menace d’engloutir la demeure. Refusant d’admettre l’inévitable, elle se dispute sans relâche avec ses locataires qui, eux, prévoient un départ imminent. Avec comme toile de fond le changement climatique, ce dernier segment se montre moins sombre et dérangeant que les précédents, tout en conservant une certaine satire sociale propre au contexte écologique. La fin légèrement optimiste tranche avec la noirceur du propos des deux autres segments, et permet ainsi de clore le film sur de belles images.

Du début à la fin, la maison exerce une attraction quasi-morbide sur ses occupants, refusant de les laisser partir et leur faisant progressivement perdre tout lien social et émotionnel. Rares sont les films – en stop-motion ou pas – qui parviennent à instaurer ce niveau de malaise et à générer autant d’angoisse dans des histoires pourtant fantasques. La Maison est sans aucun doute un petit bijou macabre qu’il serait dommage de rater. Si Netflix ne flaire pas toujours le bon morceau, la plateforme confirme avec cette anthologie que ses choix en animation sont quant à eux extrêmement judicieux.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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