[Entretien] Kate Dolan, la patte Folk


Surprise de recevoir l’un des deux Prix du Jury de ce 29e Festival international du Film fantastique de Gérardmer, Kate Dolan a vécu au bord du lac vosgien la vraie vie de festivalière : arrivée le premier jour, repartie dans son Irlande au lendemain de la clôture, elle a vogué de salles en salles, de films en films, pour étancher sa soif de frissons et d’hémoglobine. De la projection de son premier long métrage, You Are Not My Mother (Samhain), au festival de Toronto, elle garde deux souvenirs : l’un dans la tête, l’autre sur le corps, en se faisant tatouer une citrouille, le matin de la première canadienne, à l’intérieur du bras gauche. « C’est mon tatouage préféré ! », avoue-t-elle, retroussant un peu plus la manche de son pull pour l’admirer une nouvelle fois, le premier – mais pas le dernier – souvenir autour de son film, mélangeant les traditions de Samhain, fête païenne qui, plus tard, sera célébrée dans le monde entier sous le nom d’Halloween, à des thématiques contemporaines et personnelles. Samhain, justement, c’est le titre français du film, prévu dans nos salles pour le 10 août prochain. Pour patienter d’ici-là, Kate Dolan nous raconte son travail.

Dans une pièce très sombre, dont la lumière du soleil ne passe qu'à travers les interstices d'un volet, une jeune femme est enlacée par la créature chauve, maigre du film Samhain.

© Tous droits réservés

Au nom de la fille

Samhain mélange des éléments de folklore à des problématiques contemporaines, comme la maladie mentale contre laquelle lutte le personnage de la mère. Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de marier ces deux éléments au sein d’un même film ?

J’ai toujours été amoureuse des films d’horreur qui tournent autour du folklore. En Irlande, nous avons un folklore très riche, avec une très longue histoire païenne, jusqu’à ce que les chrétiens ne soient venus ruiner tout ça (rires). Je crois que, comme pour toutes les personnes qui ont grandi en Irlande, le folklore, y compris dans ses éléments plus spécifiques, comme les « changelings » (des pièges posés par les fées pour attirer les enfants, ndr), fait partie de mon histoire et de mon expérience du monde. À vrai dire, je viens de la périphérie de Dublin, donc je n’ai jamais vécu près de la forêt ou à la campagne, mais j’ai toujours trouvé décevant que le folklore, dans le cinéma d’horreur, soit systématiquement associée à la cabane dans les bois, ce genre de trucs. Ma propre expérience de ce type d’horreur est différente : mes grand-mères vivaient dans un environnement urbain, mais étaient persuadées d’être des sorcières (rires) ! Ça ne rendait pas l’atmosphère de leur lieu de vie moins étrange… Quant à l’horreur « domestique », c’était une porte d’entrée vers d’autres thèmes, comme la maladie mentale, que je voulais explorer dans un récit de passage à l’âge adulte. On est à l’intérieur d’une famille qui lutte avec ces problèmes, et j’étais intéressée par la manière dont ces problèmes nous affectent en tant que jeune personne, avec cette question : doit-on enterrer nos problèmes ou les confronter ? J’avais la sensation que ces thèmes pouvaient très bien se marier aux éléments de folklore, j’espère que j’ai réussi mon coup !

Dans un salon vieillot aux murs ornés d'un papier peint ancien et de petits tableaux encadrés, Hazel Doupe scrute la pièce, sur ses gardes ; scène du film Samhain de Kate Dolan.

© Tous droits réservés

Le long-métrage présente trois générations de femmes – la grand-mère, Rita, la mère, Angela, et la fille, Char. À travers leurs dynamiques, on a l’impression que vous tissez aussi un lien avec des choses très personnelles. Est-ce le cas ?

J’ai grandi avec ma mère, une mère célibataire qui m’a élevée pratiquement toute seule, à l’exception d’une partie de ma vie où nous sommes allées vivre avec ma grand-mère. Donc oui, cet aspect-là est tiré de ma propre vie. Mais en grandissant, j’ai remarqué qu’il n’était pas inhabituel de voir des enfants vivre avec une mère célibataire dans la maison de la grand-mère. C’est une sorte de trinité qui était très présente dans ma communauté, y compris pour bon nombre de mes amis. La coïncidence, c’est que dans la mythologie celtique, il y a le triskele, un signe à trois branches représentant la Jeune Fille, la Mère et la Vieille Femme, trois déesses de générations différentes. Autrement dit, la femme à différents âges de sa vie. Encore une fois, c’est une combinaison de deux idées.

Gros plan sur le visage d'une femme qui hurle d'effroi, les yeux dirigés vers le plafond ; issu du film Samhain réalisé par Kate Dolan.

© Tous droits réservés

À l’image, le mélange d’horreur folklorique et de drame familial se traduit par une opposition, subtilement façonnée, entre une atmosphère instable, sombre, et un regard réaliste sur la vie dans ces cités ouvrières…

J’aime que les choses semblent authentiques. En fait, il me paraît tellement plus intéressant d’être dans un milieu réaliste, où l’on a les pieds sur terre. Quand les personnages font l’expérience de l’étrange ou du fantastique, ça me semble plus vrai, simplement. La maison, par exemple, et son look, sont inspirées de la maison de ma grand-mère qui, comme toutes les maisons de grand-mères, a des tapis qui datent des années 1950, des rideaux eux aussi vieux de soixante ans (rires)… Il y avait un peu de ça, puis il y avait autre chose, à savoir que je voulais que la maison se referme sur Char, que les lumières et les couleurs de la maison participent à cette atmosphère : c’est une idée qui m’a été inspirée par Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968) et pas mal de films d’horreur des années 1970 traitant du folklore, qui ont une esthétique très particulière.

La maison, effectivement, tient un rôle important. C’est pratiquement un personnage à elle toute seule…

Il était clair qu’elle allait être un personnage central, et nous avons eu beaucoup de chance de la trouver. Nous avions un très petit budget, on savait donc que que nous n’aurions pas l’équipement ni le temps qu’on voulait. Mais nous avions la maison, donc on allait mettre tout ce qu’on avait dedans. Avec mon directeur de la photographie (Narayan Van Maele), ma cheffe décoratrice (Lauren Kelly) et moi, nous sommes allés dans la maison et avons réalisé une sorte de storyboard en photos, en photographiant chaque plan de chaque scène en intérieur. Ça a permis à la cheffe décoratrice de savoir ce dont on avait besoin, et où. En fait, il s’agissait surtout d’être malins en utilisant ce qui était à notre disposition. Le directeur de la photographie a fait un travail remarquable, il savait comment créer cette atmosphère très sombre en capturant même les ombres aux bons endroits, y compris dans les scènes de jour. Nous avons teint les rideaux en jaune, afin que quand la lumière entre, elle ait une patine un peu crade… Notre arsenal d’outils étant très limité, Samhain repose presque entièrement sur de petites choses comme ça.

Un plan que l’on retrouve à plusieurs reprises est celui de la chambre de Char, à l’étage. Vous vous placez systématiquement à l’autre bout du couloir pour avoir en amorce, et à des profondeurs de champ différentes, la chambre de la mère et l’escalier. C’est triplement terrifiant !

Dans l’horreur, je crois qu’il est important, quand vous préparez n’importe quel type de plan, de laisser suffisamment d’espace pour que le spectateur mette quelque chose derrière, dans le noir. Dans ce sens, j’aurais envisagé ce même plan tout à fait différemment si j’avais filmé un drame, car j’aurais voulu que l’œil du spectateur se concentre sur autre chose.

Ce n’est pas un film de maison hantée, mais il paraît que sur le tournage, il s’y est passé des choses étranges…

(Rires.) Oui ! En fait, quand nous sommes arrivés, la maison était vide depuis un bail car l’ancien locataire avait, disons, abandonné l’endroit. C’était entièrement vide, aucun meuble, rien. Donc nous l’avons décorée et avons utilisé en majorité un éclairage pratique, encore une fois pour une question de budget, mais aussi parce que ça collait à l’atmosphère que nous voulions donner. Bref, on s’était branchés sur le réseau domestique, et lorsqu’on a filmé la scène où Char se précipite en haut des escaliers, poursuivie par la grand-mère, pour faire sortir la mère de sa chambre, les lampes se sont mises à clignoter et ne se sont plus arrêtées (rires) ! À tel point que lorsque je me suis retrouvée en salle de montage, on a dû laisser ces plans dans le montage final, parce que nous avions filmé les meilleures prises sous cette lumière.

Propos de Kate Dolan
Recueillis par Valentin Maniglia


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.