Le Conseiller


Édité par Studio Canal aux côtés de Napoli Spara! (Mario Caiano, 1977) dans un coffret combo Blu-Ray/DVD, le film de de mafia Le Conseiller (1973) plonge le réalisateur Alberto de Martino dans le feu d’une guerre entre familles d’exilés siciliens en Californie : critique. 

Une rue de Naples, dans laquelle un corps est au sol, abattu ; à ses côtés Tomas Milian et Martin Balsam prennent la fuite ; scène du film Le conseiller.

© Tous Droits Réservés

Un air de famille

Plan rapproché-épaule sur un sniper, l'œil derrière son fusil, issu du film Le conseiller.

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On peut s’amuser d’un petit paradoxe si on s’y arrête un instant : la représentation des mafiosi au cinéma et l’imaginaire qui en a découlé ont été, en fait, façonnés par le cinéma américain. Soit par une imagerie d’exilés, une diaspora qui a fini par éclipser la communauté « pure souche » initiale. Bien que ce soit certainement ce ce qui a fait la charge émotionnelle, historique, artistique des artistes italo-descendants qui s’en sont emparés – du Francis Ford Coppola des Parrain au David Chase (américanisation du DeCesare grand-paternel) des Soprano – il reste qu’en conséquence l’imaginaire est décontenancé lorsqu’il s’agit de concevoir à quoi ressemble la vraie mafia, de là-bas. L’exemple d’ Il était une fois en Amérique (Sergio Leone,1984) étant un cas à part, car si Leone est bien un Italien exilé, il s’inscrit à 100% dans le code américain de la chose et surtout ne s’intéresse pas moins à la mafia qu’au temps, vrai sujet de son film, repoussant le Milieu à un presque second rôle… Probable que cette lacune portée par un Hollywood gargantuesque, grand récupérateur devant l’éternel, ait contribué à enflammer l’impact que des œuvres comme le sensationnel Gomorra (Matteo Garrone, 2008) ou plus récemment Le Traître (Marco Bellocchio, 2019) aient pu avoir, en ce qu’elles replacent le mafieux ou le gangster rital au sens large dans sa zone autochtone, on pourrait presque dire dans son contexte, le récupérant après des années de confiscation, même si cette dernière fut brillante. De notre place de 2021, on peut alors toujours se surprendre à ressentir une certaine fraîcheur face au Conseiller, film de Alberto de Martino tourné pourtant en 1973, proposé dans le coffret Blu-Ray/DVD Studio Canal avec Napoli Spara! (Mario Caiano, 1977), en ce qu’il épouse les péripéties d’une famille mafieuse italienne de première souche et qui, au fil de l’intrigue, sera même contrainte de ré-émigrer pour assurer sa survie… Tout un symbole.

Par loyauté, Thomas est de ces avocats qui ont plongé à la place de ceux qu’ils défendent, d’un mutisme exceptionnel sur tout ce qu’ils savent. Il sort ainsi de prison sans rancune mais profondément épuisé par ces années gâchées et avec l’envie de quitter le Milieu. Don Antonio, le parrain de la famille sicilienne exilée sur cette côte ouest des États-Unis, est si profondément attaché à Thomas qu’il n’a pas le courage de lui refuser cette liberté. Mais il en est bien autrement pour les ennemis et les traîtres qui refusent de laisser cet avocat qui sait tant de choses en roue libre, et saisissent ici l’occasion de contester le pouvoir de Don Antonio… Le Conseiller peut clairement se lire que comme une série B de bonne facture, compilant les attendus du film de mafia – manipulations stratégiques, jeux de pouvoir, pics de violence et de cruauté, têtes patibulaires – avec juste ce qu’il faut de punch et d’incarnation, aussi bien dans la mise en scène – l’intensité des gros plans de Martino, qui chargent soudainement une « simple » séquence de dialogue ou cette excellente scène d’assaut dans le dépôt, clairement le clou du spectacle – que dans l’interprétation haut portée, pour une production de ce standing, par Tomas Milian et Martin Balsam. Or ce ne serait pas lui rendre justice que de lui ôter ses quelques particularités, fort bienvenues : une mélancolie ponctuelle qui culmine lors d’un final amer, des plans glaçants de corps enterrés à la truelle qui peuvent renvoyer à des images historiques cauchemardesques, enfin et surtout, cette curieuse trajectoire des personnages principaux, qui Blu-Ray du film Napoli Spara édité par Studio Canal.doivent, pour survivre, retourner en Sicile. L’occasion d’une « méditation » filée sur le rapport que peut avoir une diaspora avec sa propre terre : si Don Antonio est bien chez lui en Sicile, son ennemi, pourtant aussi italien que lui, s’y fera dévorer comme un étranger. De là à y voir une pic métaphorique d’Alberto de Martino envers un Hollywood qui parle de ce qu’il ne connaît pas… Je laisse le lecteur/spectateur juge d’en souligner la pertinence ou la capillo-tractation.

A l’instar de Napoli Spara! dans le même coffret Digipack et fourreau, Le Conseiller est proposé en DVD et en Blu-Ray mais ne jouit d’aucun bonus, si ce n’est une préface du directeur de collection Jean-Baptiste Thoret. Si l’on remercie énormément Studio Canal pour l’heureuse découverte de ces deux métrages, de surcroît en haute définition, on reste un peu peiné devant l’absence d’une plus grande ambition éditoriale.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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