Nouvelle entrée dans le catalogue flamboyant des giallis du Chat qui fume, Le couteau de glace (Umberto Lenzi, 1972) passe sous le crible critique de Fais Pas Genre.
Motus et bouche cousue
On ne peut plus tout à fait vous présenter Umberto Lenzi, cité comme un des plus gros représentants de la série B italienne avec de véritables faits d’armes dans le cinéma de genre transalpin. Si comme tous ses confrères de la même époque et du même milieu, il n’échappera pas à des films pas vraiment admirables – Kriminal (1966), pour n’en citer qu’un – il doit notamment à sa postérité au célèbre film de cannibales Cannibal Ferox (1981) et à une série de gialli parmi lesquels nous vous avions déjà parlé de Chats rouges dans un labyrinthe de verre (1975) pour sa sortie en Blu-Ray. Chez ce même Le Chat qui fume, est sorti tout dernièrement un autre long-métrage de Lenzi, Le couteau de glace, giallo qui s’immisce par la même dans la magnifique – travail éditorial et artwork – collection bâtie par l’éditeur. Réalisé en 1972, Il coltello di ghiaccio est une coproduction italo-espagnole dont l’action se situe dans le pays de Cervantès, dans la vallée du Montseny. Ici réside la douce et docile Martha, muette, qui reçoit la visite de sa douce cousine, célèbre chanteuse, qu’elle semble ravie de retrouver. Fort malheureusement, la beauté des retrouvailles va être de courte durée, car les cadavres vont s’accumuler autour de la jeune femme, de sa cousine à une adolescente amie, en passant par un féru d’occultisme dont elle est très proche…
Il faut dire tout de suite qu’on n’a pas affaire là à un giallo. Ou alors un meta-giallo, contournant avec peut-être trop de zèle les codes d’un genre qu’un certain Dario Argento – en 1972 il a déjà bien tourné sa trilogie fondatrice L’oiseau au plumage de cristal (1970), Le chat à neuf queues (1971) et Quatre mouches de velours gris (1971) – a déjà, à l’époque, mené vers un ailleurs. Le couteau de glace, et c’est d’autant plus clair dans son twist final révélant l’identité du tueur, c’est un giallo anti-giallo, un projet de cinéaste visant surprendre le spectateur sur ses attentes. Mais si cette posture peut être annonciatrice d’une grande richesse quand elle est entre les mains de réalisateurs inspirés, elle peut tomber un peu à l’eau dans l’escarcelle d’artisan moins gâté par les muses. D’abord, Lenzi rejette toute sexualité ainsi que tout fétichisme. Ni scène de sexe, de nudité, et même pas par métaphore, puisque la fameuse arme blanche phallique du giallo est absente ou presque, le temps d’un plan très bref, lors du premier meurtre, comme une petite moquerie à l’adresse du spectateur qui s’attend à voir un giallo en bonne et due forme… Puis ne se contentant pas de retirer à son long-métrage la charge érotique qui en fait le sel, il en retire aussi un autre de ses éléments constitutifs, je dirais même chromosomique : les mises à mort, ici toutes hors-champ ou carrément “ellipsées”. Umberto Lenzi retire donc, mais peine à compenser, que ce soit sur le plan de l’esthétisme – pas grand-chose à se mettre sous la dent sur le plan formel, à part une curieuse séquence de poursuite dans le brouillard – ou celui du scénario qui, pour le coup, ne tord par le cou aux codes en gardant parmi les codes ceux dont on se passerait le plus : psychanalyse à la truelle, mines patibulaires, fausses pistes satanistes ou hippies… On pourra toujours retenir un final donc qui pourra surprendre, ainsi que ce qui est la seule vraie réussite du film, son don de nous faire entrer de plain-pied dans la psyché de Marta, entre souvenirs fugaces et impressions d’angoisse perpétuelles à la lisière, parfois, du fantastique.
Sur la lame des bonii, Le Chat Qui Fume livre de quoi combler les afficionados du célèbre genre italien un peu trop versé vers l’arme blanche, et de ce Lenzi à la carrière nourrie. On apprécie fort d’entendre Jean-François Rauger, directeur de la Cinémathèque Française, parler avec savoir et passion de cinéma B, de surcroît avec un discours assez honnête – notamment sur sa dimension psychanalytique – sur les qualités et défauts du long-métrage, ainsi que sur l’étonnant parcours de l’actrice Carroll Baker. Mais on accroche encore plus aux deux suppléments en présence de Signore Umberto Lenzi himself, qui revient sur son bébé dans un entretien et sur toute sa carrière dans un second… La cerise sur le gâteau finale est une attention à laquelle l’éditeur n’était nullement obligé et qui fait d’autant plus plaisir : une compilation CD de musiques de gialli. On ne peut que féliciter le matou fumant d’éditer Le couteau de glace avec autant d’exigence et de respect pour l’acheteur. Un objet à posséder à condition d’être bien conscient de ne pas mettre la main sur un chef-d’œuvre ou sur un mètre étalon-bijou du giallo.