Discrètement sorti fin avril dernier sur les écrans français, voici que la petite bombe japonaise Ne coupez pas ! (Shin’ichiro Ueda, 2019) sort en vidéo, pour permettre aux retardataires (comme nous) ou à ceux qui n’en avaient pas entendu parler de combler leur lacune. Ayez l’estomac bien accroché, car les personnages du film ne l’ont plus. Attention toutefois, pour nos lecteurs qui voudraient découvrir l’objet le plus vierges possible, on vous conseille fermement de vous arrêter là !
Cut me if you can
Voici l’une de ces success story comme on les aime dans le cinéma : un petit film sans prétention, tourné avec trois francs six sous mais une bonne dose d’audace et de talent, parvient à se hisser dans les hauteurs du box-office nippon et s’offre une distribution mondiale porté par un bouche-à-oreille plus que favorable. Il n’en fallait pas moins pour que l’on s’intéresse à cette bizarrerie cinématographique qui a réussi à devenir le dix-septième long-métrage en termes de recettes au Japon pour l’année 2018, devant les mastodontes de l’époque comme Miraï ma petite soeur (Mamoru Hosoda, 2018), Ready Player One (Steven Spielberg, 2018) ou même Black Panther (Ryan Coogler, 2018) ! Il faut dire que Ne coupez pas ! (Shin’ichiro Ueda, 2019) a été tourné en seulement huit jours avec des comédiens inconnus, pour un budget avoisinant les 25.000$, et commença timidement son exploitation dans un petit cinéma de Tokyo de moins de cent places. Puis, glanant des prix ci et là, il finit par conquérir le public – et nous avec.
Mais de quoi parle-t-on ? D’une comédie horrifique, d’une œuvre gore façon burlesque, d’un found footage à la Blair Witch (Eduardo Sanchez & Daniel Myrick, 1999) qui s’est perdu au milieu d’une comédie à la Shaun of the dead (Edgar Wright, 2004). Et, pour être un poil plus concret, d’un “film dans le film”, narrant l’histoire d’un réalisateur de séries B qui souhaite tourner un film de zombies dans un vieil entrepôt abandonné datant de la Seconde Guerre Mondiale. Mais ce bâtiment est maudit et une incantation permettrait d’y réveiller les zombies (des vrais cette fois-ci) qui le peuplent. Le réalisateur, passablement énervé de la piètre prestation de son actrice qui n’arrive pas à jouer la peur, décide de prendre les choses en mains et fait surgir les véritables zombies pour secouer son équipe. Ce qui devait être un tournage low cost tranquille se transforme en carnage et les membres de l’équipe succombent tour à tour aux bouffeurs de chairs. Shooté en un long et seul plan-séquence, on remarque de plus en plus de défauts, d’imperfections ou même de contresens et d’éléments absurdes qui viennent ternir la proposition. Les limites et dérives du found footage sur lesquelles nous avions déjà longuement tirées à boulets rouges (voir l’article En finir avec le found footage de gueule) sont bel et bien là et rendent décidément assez agaçante et pas franchement très réussie la première moitié du long-métrage. Quand soudain…
Après presque quarante minutes de plan-séquence poussives, voici qu’un « Coupez » résonne dans le micro de la caméra. À qui appartient cette voix ? Un flash-back nous ramène un mois en avant. Nous sommes avec un réalisateur (le même que dans le plan-séquence) à qui on commande un film de zombies. Une nouvelle chaîne de télévision va se mettre à diffuser et pour inaugurer en grandes pompes leur ligne éditoriale axée sur le genre, les dirigeants souhaitent un long-métrage en un seul plan et tourné en live qui plus est ! Le réalisateur refuse de prime abord, mais se ravise après que sa femme, ancienne actrice, le convainc de tenter l’aventure. Commencent donc les préparatifs et tout le puzzle macabre se met lentement en place. Car le plan-séquence liminaire n’était « que » le résultat de cette commande farfelue. On se met à repérer les différences entre le résultat que nous venons de voir et la préparation effective : on se demande comment l’intrigue va évoluer pour en arriver au produit final que nous connaissons déjà. C’est toute la force de nous avoir montré le résultat avant sa fabrication : cela crée un horizon d’attente puissant, source de suspense et bien sûr, de comédie. Pourquoi l’actrice n’a pas été choisie en premier ? Pourquoi l’ingénieur du son s’est-il soudainement transformé en zombie ? Pourquoi le scénario n’est-il pas le même ?
Shin’ichiro Ueda, l’auteur (le vrai !) de Ne coupez pas ! montre ainsi toute sa finesse d’écriture et son inventivité folle pour nous proposer une comédie hilarante, avec de vrais moments de bravoure et d’auto-dérision. En déconstruisant minutieusement son propre fil narratif et en y instillant une énergie dingue, le réalisateur force l’admiration et le respect devant une telle maîtrise et un côté brinquebalant assumé. Mais ce que nous retiendrons de tout cela, c’est surtout une formidable déclaration d’amour au cinéma bis, aux productions déconsidérées et manquant de moyens, où le talent remplace l’argent, où l’ingéniosité remplace la commodité. Une ode donc à tous ces films qui se font grâce au désir et à l’acharnement d’une équipe, quand bien même il faudrait se mettre en danger pour cela. Que vous dire, sinon que chez Fais Pas Genre, ça nous parle !