Extra Sangsues


Extra Sangsues (Fred Dekker, 1986) sort pour la première fois en France en Blu-Ray. Pépite méconnue qui fleure bon les années 80, le kitsch et l’horreur décomplexé, Night of the Creeps – en version originale – est aussi prometteur que ses titres l’indiquent.

Scène de destruction de sangsues au lance-flammes (critique du film Extra Sangsues)

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Extra Pastiche

Les deux copains du film Extra Sangsues, perplexes.

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Extra Sangsues est sans conteste un film maudit. Injustement boudé lors de sa sortie en 1986, le premier effort de Fred Dekker – et quasi dernier – tombe rapidement dans l’oubli avant d’être célébré comme une œuvre culte lors de sa sortie en VHS. L’objet a pourtant tout pour plaire aux amateurs : des étranges extra-terrestres, des zombies sanguinolents, des limaces libidineuses, des adolescents gluants (ou bien le contraire), des jeunes filles nues sans raison et j’en passe. Bref, Fred Dekker a l’apanage d’un Joe Dante, d’un Wes Craven voire même d’un John Carpenter mais n’a pas connu le succès escompté. Méritant donc une édition française à la hauteur de sa folie, Extra Sangsues se voit offrir une copie restaurée et pléthore de bonus pour le plus grand bonheur des amateurs de bizarreries. Dans la pure veine des teen movies horrifiques des années 80 tels que Vampire, vous avez dit vampire ? (Tom Holland, 1985), Le Retour des Morts-Vivants (Dan O’Bannon, 1985) ou encore Teen Wolf (Rod Daniel, 1985), le film est un gloubi-boulga de genres et de références en pagaille. Démarrant comme de la pure science-fiction, il tombe brutalement dans le classique teen movie pour ensuite glisser progressivement dans l’horreur avec une redoutable invasion de zombies contaminés par de vicieuses sangsues…

Cynthia, jouée par Jill Whitlow, sort de son manoir, marche dans l'allée de nuit.

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Une fusillade fait rage au sein d’un vaisseau spatial. Un étrange alien essuie des tirs de rayons laser et sillonne les couloirs futuristes de l’engin en courant. « Cette expérience ne doit pas sortir de ce vaisseau ! » s’exclame l’un de ses poursuivants. Malheur ! Le fuyard expulse une étrange capsule dans l’espace. En 1959, au même moment sur un campus américain – et tourné en noir et blanc s’il vous plaît ! – deux tourtereaux aperçoivent un étrange objet s’écraser non loin de là. Prenant son courage de mâle alpha à deux balles mains, l’homme va inspecter la chose. Il découvre alors une capsule grouillante de sangsues quand soudain l’une d’elle saute dans sa bouche. Passant décidément une très mauvaise soirée, sa copine, restée sagement en retrait, est sauvagement assassinée à la hache par un fou échappé de l’asile du coin. Bond dans le futur, la couleur reprend ses droits, cette fois en 1987. Lors d’un bizutage sur le même campus, Chris et son pote J.C. libèrent malgré eux des sangsues qui étaient alors congelées dans un laboratoire… Ainsi, ils déclenchent tout naturellement une redoutable invasion zombie. Comme son pitch l’indique, Extra Sangsues est un film dense (parfois trop ?) avec une histoire invraisemblable et totalement grotesque. Pourtant, impossible de bouder son plaisir, bien au contraire : la première chose qui saute aux yeux au visionnage est la bonne humeur communicative qui s’en dégage. Fred Dekker s’en est donné à cœur joie et ça se sent. Il apparait évident qu’il signe ici le film qu’il a toujours rêvé de voir, un film de cinéphile. Il rend hommage au cinéma qu’il aime, les teen movies, les slashers, les films de zombies, mais aussi et surtout les séries B des années 50, notamment Plan 9 From Outer Space (Ed Wood, 1959). Il n’y a qu’à voir les noms de ses personnages, assez évocateurs, pour s’en convaincre : Chris Romero, Cynthia Cronenberg ou encore James Carpenter Hooper pour ne citer qu’eux. Son générique reprend même le lettrage de celui de Shining (Stanley Kubrick, 1980) !

Blu-Ray du film Extra sangsues édité chez Elephant FilmDe cette constellation de références, Fred Dekker tire malicieusement le meilleur mais surtout le pire, et, soyons honnête, c’est précisément en cela que le spectateur prend bigrement son pied. « C’est quoi ce bordel, un homicide ou une mauvaise série B ? » s’interroge bien justement l’excellent personnage de l’inspecteur Cameron. Extra Sangsues est kitsch à souhait et il en fait des tonnes, mais c’est justement là que réside tout son génie. Dekker signe ici un irrésistible pastiche dans lequel il assume pleinement les poncifs des genres qu’il s’approprie. Massacre de zombies de plus en plus gore et créatif, déshabillages intempestifs et gratuits des personnages féminins, extra-terrestres mystérieux, romance à l’eau de rose… Et que dire du génial Tom Atkins dans le rôle de l’inspecteur Cameron, déjà vu dans The Fog (John Carpenter, 1980) ou encore Maniac Cop (William Lustig, 1988). Sorte d’Humphrey Bogart tout droit sorti du Faucon Maltais (John Huston, 1941), il incarne un personnage de flic désabusé et alcoolique ne quittant jamais son trench coat. Et c’est sans compter ses répliques, toutes plus mémorables les unes que les autres : « La bonne nouvelle, c’est que vos cavaliers sont arrivés. La mauvaise… c’est qu’ils sont morts » ou encore le redondant « Thrill me »… Malgré tout, Dekker ne fait jamais l’erreur de se moquer ni de faire une parodie bête et méchante de ce pan du cinéma. Il réalise au contraire un véritable hommage au cinéma qu’il admire et qui l’inspire, un hommage débordant de bienveillance, d’humour et d’une délicieuse (auto)dérision. Finalement, Extra Sangsues brille par son ton décomplexé et propose un spectacle tout simplement fun. Alors comment expliquer l’accueil glacial que lui réserva le cruel spectateur de 1986 ? Le long-métrage est certainement sorti un chouïa trop tôt : sorte de Kung Fury (David Sandberg, 2015) avant l’heure, Fred Dekker apparaît en avance sur son temps avec ce pastiche implacable et son jeu avec sa propre génération, le tout au sein même des années 80. En 2020, le spectateur a maintenant la distance nécessaire pour apprécier le délire assumé de l’œuvre, recul que n’avait pas le public de 1986. Alors que les années 2010 ont été inondées par les innombrables hommages à ces mêmes années 80 (voir notre article Hollywood doit-il arrêter de regarder dans le rétro ?) la réédition d’Extra Sangsues en Blu-Ray tombe à point nommé. Si on devait synthétiser l’esprit du cinéma américain des années 80 en une seule œuvre, Extra Sangsues, véritable film-somme, serait certainement en tête de liste.


A propos de Calvin Roy

En plus de sa (quasi) obsession pour les sorcières, Calvin s’envoie régulièrement David Lynch & Alejandro Jodorowsky en intraveineuse. Biberonné à Star Gate/Wars, au Cinquième Élément et au cinéma de Spielberg, il a les yeux tournés vers les étoiles. Sa déesse est Roberta Findlay, réalisatrice de films d’exploitation parfois porno, parfois ultra-violents. Irrévérencieux, il prend un malin plaisir à partager son mauvais goût, une tasse de thé entre les mains. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNH2w

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