A fleur de peau


Elephant ressort en Blu-Ray un film méconnu et mal-aimé du très surprenant Steven Soderbergh. A fleur de peau est son quatrième film après le triomphe Sexe, mensonges et vidéo et les intéressants mais également passés un peu passés inaperçus Kafka et King of the hill. Sorti en plein milieu d’une vraie mode du thriller psychologique retors – Ususal Suspects, Seven, etc. – celui-ci se veut finalement beaucoup plus simple (voire mince) dans son intrigue, pour mieux mettre en avant ses expérimentations formelles. Ça fait pas genre tout ça ?

Sexe, mensonges et vidéo (2)

Le synopsis d’A fleur de peau – non, on va peut-être tout de suite arrêter avec cette traduction débile et affreuse, préférons lui son titre original The Underneath – est simple, voire banale. Michael – incarné par le troublant Peter Gallagher – retourne dans sa ville natale où sa mère a recommencé sa vie, son frère est animé de vieilles jalousies, mais surtout où il retrouve sa femme Rachel qui vit désormais avec le dangereux Tommy. Cherchant à la défaire de cette emprise malsaine, il va les plonger dans un piège à trois fait de désir et de danger. Autant le dire tout de suite, la construction dramaturgique menant à ce jeu de manipulation à 3 n’est pas la plus grande qualité du film. Au contraire, le scénario pêche vraiment, orchestrant une mécanique qu’on connaît très bien, et qui dans son dernier mouvement ne surprend vraiment pas assez. Il ne faut pas tellement chercher dans Underneath un divertissement du dimanche soir. Mais c’est peut-être finalement pour ça qu’il est intéressant.

Le cas Soderbergh a ceci d’intéressant qu’après son triomphe cannois où il était un tout jeune homme, il n’a jamais cherché à surfer sur ce succès, et a toujours essayé de suivre sa propre voie expérimentale, toujours surprenante. Tout au long de sa carrière, Soderbergh valsera entre cette voie très personnelle, et un cinéma plus proche du public qui porte sa patte par le soin qu’il apporte à la mise en scène (Ocean’s Eleven ou le récent Logan Lucky). The Underneath est lui de la veine expérimentale, ce qui est plutôt surprenant sur le papier puisqu’il est un le remake d’un long plutôt palpitant, Pour toi j’ai tué (Robert Siodmak, 1948). D’ailleurs, l’intérêt principal de cette édition est que ce dernier est présent dans le Blu-Ray bonus, ce qui permet de comparer précisément les deux films. Je n’effectuerai pas ce petit jeu, mais je peux vous dire simplement qu’en terme de divertissement pur, et d’excitation de spectateur, le premier enterre quelque peu son remake. Soderbergh, en choisissant de faire de son oeuvre un laboratoire d’expérimentations formelles – qui lui serviront sans doute plus tard – en fait un objet un peu froid, parfois ennuyeux, comme dans sa dernière partie assez interminable il faut bien le dire.

Pourtant, un charme opère ici et là. Toute la première partie, extrêmement lente et étrange dans ses choix de découpage et surtout de durée des séquences, met en place un rythme assez envoûtant. La première scène des retrouvailles entre Michael et sa femme – incarnée par Allison Elliot, dont la ressemblance avec Riley Keough dernière muse en date du cinéaste est extrêmement troublante – dans un bar où un groupe de musique joue est par exemple très étrange et belle. Ce bar d’ailleurs voit se retrouver plusieurs fois les personnages dans cette ambiance musicale, coloré et étonnamment lente. Face à ce rythme étrange, j’ai même pensé aux scènes de concert – bien plus extraordinaires entendons-nous bien – au Roadhouse de la saison 3 de Twin Peaks qui venaient clore une bonne partie des épisodes (putain, que c’était bien la saison 3 de Twin Peaks quand même).

Le côté alambiqué et cérébral de la mise en scène peut séduire, et parfois venir surpasser le film initial, comme dans la scène de l’hôpital, magnifique. Il peut aussi totalement laisser de marbre le spectateur. D’autant plus que cette posture expérimentale ressemble parfois un peu à de la pose et laisse poindre l’un des défauts principaux des mauvais Soderbergh, la vanité. La beauté du film référence, comme beaucoup des films noirs, c’est le classicisme apparent de sa mise en scène qui permet malgré tout d’entrer dans les méandres de l’intrigue et de la psychologie des personnages. A trop vouloir faire de sa mise en scène une représentation de la psyché trouble de son personnage principal, Soderbergh oublie parfois de la raconter simplement. Pour cet objet envoûtant mais un peu froid, Elephant propose un master Blu-Ray de grande qualité, que cela soit au niveau du contraste, de l’étalonnage et de la colorimétrie, sans aucun défaut de pellicule. Même excellent travail au niveau du son qui permettra au spectateur concentré et friand de ce genre d’expérimentations d’être envoûté par l’expérience, notamment donc dans les séquences de boîte de nuit.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

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