Street Trash 2


Il s’agit là – selon moi – d’un film culte du même acabit que La Nuit du Chasseur. Vous vous demanderez peut-être pourquoi, et bien c’est parce qu’il est l’unique film de Jim Muro, comme l’était La Nuit du Chasseur pour Charles Laughton, et que tous deux ont réussi quelque chose de bluffant : un seul film, un chef-d’œuvre. A l’occasion de sa ressortie dans une magnifique édition chez ESC on vous parle de Street Trash.  

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La crasse dans la casse

Réalisé en 1987 par une bande d’étudiants menée par un certain Jim Muro, Street Trash raconte l’histoire d’un groupe de clochards, dont la plupart loge entre les taules froissées et les pneus usés d’une casse de voitures. Cette galerie de personnages vit – ou survit – de larcins et malhonnêtetés en tout genre, conjugués à des centres d’intérêt variés, qui vont du sexe – bien sûr – à la baston et l’alcool. Alors quand l’épicier du coin découvre dans sa cave une caisse d’un nouvel alcool, le Viper, puis met les bouteilles en vente pour trois sous, les sans-abris se pressent pour acheter le fameux breuvage. Mais celui-ci se révèle avoir de terribles effets secondaires : il liquéfie littéralement ceux qui l’absorbent, les transformant en d’immondes flaques visqueuses et colorées.

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Lorsqu’il sort sur les écrans en 1987, ce petit film indépendant s’inscrit, sans le savoir, dans l’histoire du film d’épouvante et gore en rejoignant une mouvance qui à l’époque – et jusqu’aux débuts des années ’90s – fera naître quelques monuments du genre. Des longs-métrages gores, réalisés avec un petit budget et beaucoup d’inventivité, un très fort goût pour l’outrancier et la volonté de dépasser les frontières érigées par les codes hollywoodiens, vont être pléthore. Le burlesquo-gore devient par la même un sous-genre à part entière. S’apparentant au cartoon, ces films manient le gore sous un ton relativement satirique, subversif et parodique. Qu’il s’agisse de la saga Evil Dead (1981) de Sam Raimi, ou bien des Bad Taste (1987) et bien sûr Braindead (1992) – du confrère néo-zélandais de Jim Muro, un certain Peter Jackson – tous sont des monuments du comico-gore. Un mouvement dans lequel Street Trash s’inscrit parfaitement. Car Street Trash, c’est un univers sous acide, dans lequel les clochards sont transformés en des bouillies multicolores et visqueuses, dans lequel les scènes de sexe se jouent entre deux carcasses de voitures, entre la rouille et les tâches d’huiles, et où le sport officiel est le “Baseball Phallus” qui consiste tout simplement à émasculer un partenaire et à jouer avec son sexe, tout en s’amusant, bien entendu, de ses râles désespérés pour le récupérer. Jim Muro créé un univers complètement déjanté, bariolé, coloré et sale à la fois, comme un tableau de Dalí, comme un petit cousin des univers dégueulasses et de la pop acidulée d’un John Waters.

Ce qui marque plus que tout, c’est que même si l’on prend très vite conscience du manque de budget et de l’amateurisme de l’ouvrage, cela nous permet aussi de  nous rendre compte des réelles prouesses techniques effectuées. La caméra, quasiment continuellement mobile, est en fait une steadycam artisanale, que Jim Muro exploite dans toutes ses possibilités. Ce n’est pas pour rien, par ailleurs, que le réalisateur deviendra plus tard, l’opérateur steadycam par excellence, employé par les plus grands sur des tous petits films tels que Aliens (James Cameron, 1986), Casino (Martin Scorsese, 1996), Terminator (James Cameron, 1980) et j’en passe. L’autre prouesse réside dans les effets gores, très ingénieux, et signés Jennifer Aspinall, l’une des pointures de l’écurie Troma et surtout reconnue pour son boulot sur les Toxic Avenger de Lloyd Kaufman. Au final, cette suite de sketchs aurait bien pu, de par le milieu qu’elle couvre – la misère de la rue – être une satire politique acerbe, mais en réalité, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse là du projet de Jim Muro. Véritable défouloir, enchevêtrement de scènes grotesques et assumées comme telles, le long-métrage se veut plutôt comme un pied-de-nez irrévérencieux à la fourmilière du “tout-commun Hollywoodien” et de son conformisme exacerbé. Street Trash est un pamphlet pour un autre cinéma, affranchi, libre du spectre des majors, un hymne au cinéma amateur et subversif. Mais avant tout Street Trash restera à jamais l’œuvre culte d’un réalisateur de génie mort-né, et l’un des films les plus représentatifs de ce sous-genre qu’est le burlesquo-gore. Une oeuvre culte à laquelle l’éditeur ESC redonne une belle visibilité avec la sortie d’une nouvelle édition au visuel magnifique, proposant le film dans un master plus que beau et quelques bonii précieux parmi lesquels, en premier lieu, le court-métrage à l’origine du film d’une durée de quinze minutes. On appréciera par ailleurs de retrouver Nicolas Stanzick (auteur d’une bible sur la Hammer mais surtout celui qui a ressuscité Midi Minuit Fantastique dans des recueils à tomber par terre) et Fausto Fasulo qu’on ne présente plus, pour un entretien intéressant.

 


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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2 commentaires sur “Street Trash