Débarquée sur Netflix un peu à l’improviste en ce début du mois de janvier, The End of the Fucking World, cette mini-série anglaise produite par Channel 4, s’affirme comme l’une des étrangetés de ce début d’année.
Natural Born Lovers
Le catalogue Netflix est devenu si dense avec le temps que la plateforme peut désormais se payer le luxe de balancer des séries, comme ça, sans teasing, tout en profitant de l’effet de surprise. C’est ce qui s’est passé avec The End of the Fucking World (Jonathan Entwistle, 2018) mini-série éclair – huit épisodes de vingt minutes soit l’équivalent d’un film de deux heures quarante – adaptée du comics du même nom signé Charles S. Forsman. L’histoire est celle de la rencontre entre deux jeunes adolescents paumés aux caractères bien trempés. Lui, James, est persuadé d’être un psychopathe en devenir depuis qu’il a assisté enfant au suicide spectaculaire de sa mère. Un événement traumatique qui l’a fait s’enfermer dans une bulle d’idées noires et réveiller quelques instincts morbides, de ceux qui vous font tuer des petits chats à coups de pierre. Quand il rencontre Alyssa, jeune fille désinvolte, légèrement nymphomane et particulièrement insupportable de franchise, il est persuadé qu’elle peut devenir la cible idéal de son premier homicide. Hors, entre eux – et bien qu’ils semblent totalement incompatibles – le courant passe immédiatement. Les deux adolescents se lancent dans un road-trip déluré et sans but, fuyant le monde des adultes qui les oppresse et les empêche d’être vraiment qui ils sont. Dès son deuxième épisode, la série s’engage donc d’emblée dans un genre assez balisé, celui du road movie d’abord, mais aussi et surtout de l’échappée belle amoureuse sous fond de film de gangsters car très vite, nos deux tourtereaux vont se retrouver impliqués dans une affaire de meurtre et pourchassés par la police.
Avec son couple de jeunes gens spéciaux, instables, parfois flippants (la série n’est pas avare en séquences malaisantes) mais néanmoins attachants, The End of the Fucking World s’inscrit dans le sillage de certains de ses ainés convoquant des couples de hors-la-loi mythiques de l’histoire du cinéma américain, des indémodables Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) en passant par les protagonistes de Sugarland Express de Steven Spielberg (1974) mais encore bien sûr les héros de Tueurs Nés (Oliver Stone, 1994) ou ceux du début de Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994). A l’image de ces illustres modèles, cette mini-série parvient surtout en moins de trois heures à faire de ces personnages complètement antipathiques de prime abord, des personnages attachants, pour lesquels on finit par avoir une vraie tendresse, à mesure que se dévoilent leurs fêlures familiales et personnelles et que leur attachement l’un pour l’autre grandit. Plus encore, la série parvient à saisir quelque chose d’une époque, d’une jeunesse désœuvrée et désorientée. En cela, la noirceur de The End of the Fucking World n’est pas tant le fait de son recours à de multiples moments au gore et à des événements violents, mais d’abord parce qu’elle prophétise la perdition lente de toute une génération. Si elle est amère, rude, drôlement dérangeante, maniant un humour noir comme seul les Anglais savent le faire, cette mini-série parvient dans son dernier tiers à créer des émotions inattendues et à s’offrir même quelques moments de cinéma assez magnifiques, en premier lieu, un final citant ouvertement Les 400 coups de François Truffaut (1959) aussi bouleversant qu’il n’est terrible.
Dans le paysage sériel actuel, l’arrivage massif de mini-séries conceptuelles semble offrir une nouvelle voie d’expression. La narration télévisuelle s’exprimant ainsi dans une forme moins longue que ce qui était convenue jusqu’alors trouvant au change plus d’efficacité. L’offre en terme de série télévisée s’étant largement élargie, il apparaît assez logique que les séries soient désormais moins conçues pour durer. Une constante dans les séries des années 2000 qui causa souvent leur perte qualitative, finissant souvent par tourner en rond à force d’épuiser un concept, de saisons en saisons, jusqu’à plus soif. On ne saurait dire si cette mini-série qui se regarde comme un long film appelle ou mérite une suite ou si elle se suffit à elle-même. Quoi qu’il en soit, si c’est un one shot, celui-ci a visé en plein cœur. Bang Bang.