Surprise, alors que tout le monde ne parle que de Grave de Julia Ducournau, est sorti le même jour que lui un autre petit film de genre qui nous vient du Brésil, lui aussi réalisé par une jeune réalisatrice, tentant notamment de redéfinir la place de la figure adolescente dans le cinéma de genre. On vous parle de ce film non exempt de défaut mais ambitieux et attachant, Mate me por Favor.
My so Bloody Life
Impossible de ne pas faire le rapprochement entre cette surprenante et heureuse sortie en France et le « phénomène » Grave qui fait tant parler de lui ces derniers jours. Le titre lui-même (en français « mange-moi s’il te plaît ») annonçait même une proximité directe avec le film cannibale de Julia Ducournau. Pourtant, il n’est jamais question, en tous cas directement, de cannibalisme dans Mate me por favor, et si les films présentent quelques points communs a priori, on se rend très vite compte qu’on a à faire à deux films très différents. Mate me por favor part d’un postulat assez simple : une série de cadavres féminins sont retrouvés jour après jour à proximité d’un lycée où une jeune fille grandit, s’amuse avec ses amies et étudie. La menace plane donc, au milieu des rebondissements habituels du teen-movie : passage à l’âge adulte, premiers ébats sexuels, ruptures, amitiés conflictuelles, etc. En fait, très vite, et c’est peut-être le principal défaut du film, on se rend compte que le genre sert avant tout de prétexte pour raconter d’une manière un peu originale ces histoires issues du teen-movie. Du coup, la partie horrifique du film n’est pas la plus réussie et se réduit beaucoup à des clichés pas forcément passionnants. On pense par exemple à la scène d’ouverture, où le carton titre occupe tout l’écran sur fond sonore de cri sur-aigu terrifié. Jamais le film ne génère véritablement de la peur, ni même vraiment de malaise parce qu’il se réfère à des figures trop attendues de l’épouvante. Parfois, la rencontre de la monstruosité venue du cinéma d’horreur et les préoccupations teen donnent des choses très intéressantes, notamment cette obsession du film autour du pourrissement du corps adolescent, donnant lieu à des moments de figurations très puissants. On pense à cette succession de plans face caméra des différentes jeunes filles subissant toutes une défiguration. L’une est amochée par un gros hématome, l’autre par une pustule absolument monstrueuse sous la bouche, etc. Ces filles apparaissent ici comme des monstres, mais des monstres qui nous renvoient tous à ces traumatismes adolescents liés à l’évolution brutale des corps.
Finalement, on se rend très vite compte qu’Anita Rocha da Silveira est bien plus à l’aise dans son traitement des thématiques teen que dans l’épouvante en elle-même. Si bien que malgré son récit bancal et un peu attendu, le film parvient à faire parvenir au spectateur un beau sentiment de jeunesse, d’adolescence. On retrouve finalement le même sentiment que face à des séries TV des années 90, on pense notamment à My so called life, que la cinéaste adore. Il y également quelque chose de désordonné dans le film, sans doute proche de la telenovela, qui génère un sentiment d’excitation et de charme réel. Ce sentiment est renforcé par le côté pop un peu désuet mais toutefois charmant de la mise en scène, et des caractères très bien définis. Toutes les actrices sont formidables, et la bande d’ado génère une empathie sincère et immédiate. D’autant plus que la cinéaste ne regarde jamais ses personnages avec jugement, elle accueille toutes les pulsions de son personnage principal sans jamais la juger, ce qui la rend d’autant plus puissante. Il y a un vrai souci de la cinéaste de faire exister au mieux tous les personnages du film, en témoigne le personnage masculin le plus important, le frère de l’héroïne, sorte de geek bedonnant et barbu incapable de bouger et qui se révèle finalement plus inquiétant que ce que l’on pourrait croire. La vision qu’a Anita Rocha da Silveira est d’autant plus intéressante qu’elle la place dans un cadre très particulier, celui d’un Brésil qui subit progressivement une urbanisation sauvagement verticale, impliqué très rapidement dans la mondialisation la plus brutale. En ce sens, le film fait penser à un autre premier film, plus auteuriste celui-là : Diamond Island de Davy Chou, qui se déroulait au Cambodge et dans un univers plus masculin, mais avec lequel on peut voir des correspondances à la fois formellement et thématiquement avec Mate me por favor. Cet état du Brésil que nous donne à voir le film est sans doute ce qu’il y a de plus directement terrifiant dans le film, notamment dans les scènes dans le cercle religieux évangéliste, où l’on chante une soupe pop illuminée plus terrifiante encore que tout ce qu’on peut entendre dans un certain film d’Etienne Chatillez. C’est dans ces moments-là que la cinéaste réussit le mieux à générer une nouvelle inquiétude inattendue, quelque chose de plus intrigant, très liée d’une manière générale à Gregg Araki, plutôt que par son récit autour des disparitions qui est tellement convenu qu’il fait parfois sombrer le film dans un ennui dommageable.
Il est cependant rafraichissant de retrouver à l’écran, dans un cinéma jeune et sortant des sentiers battus, des références qu’on ne voit finalement plus beaucoup, et notamment celles à Dario Argento. On se dit que le cinéma de genre a encore de l’avenir, qu’il génère encore une véritable envie, même si elle est parfois balbutiante. Et même si cette envie prend des côtés un peu chic – ici par exemple dans cette fin ouverte un peu facile – elle est capable de générer un vrai envoûtement. Ici, on se laisse volontiers emporter par ces angoisses flashys autour du sang, du sexe et de la mort, et on a hâte de découvrir le nouveau film de cette jeune cinéaste. En espérant qu’il ne fera toujours pas genre.
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