Triple 9


Polar choral qui aurait pu passer inaperçu lors de sa sortie en salles (à 78 000 sorties par semaine…), Triple 9, édité en DVD chez TF1 Vidéos est pourtant de très honnête facture et certainement un des films de genre les plus réussis de l’année 2016.

kate-winslet

Un après-midi de chien

Certains d’entre vous (dont je ne fais pas partie, puisque vous êtes vous et que je suis moi) connaissent peut-être John Hillcoat sans le savoir, et l’apprécient même, grâce au succès d’estime du post-apo La Route (2009).  Est-ce que ça a été suffisant pour vous donner envie de voir Triple 9, résolument différent et d’apparence sans aucune différence avec les autres blockbusters d’action qui vrombissent dans nos salles obscures à intervalles (très) réguliers ? Je l’espère, car le sixième long-métrage de Hillcoat (il a aussi mis en images de clips de Siouxsie and the Banshees, Muse, Depeche Mode, ou Johnny Cash, des inconnus quoi) était en mars 2016, lors de sa sortie, une excellente surprise dont la maxresdefaultdécouverte ou redécouverte en DVD grâce à TF1 Vidéos s’impose, si on veut avoir de bons exemples de cinéma contemporain américain et grand public. Parce qu’il y en a moult, et peut-être même de plus en plus.

Ayant figuré sur la fameuse Black List de Hollywood (les scénarios les plus appréciés par les producteurs exécutifs mais pas encore produits), le script déploie avec brio une foule de personnages mais autour d’une intrigue simple : des fils ripoux se servent de leurs postes pour animer une équipe (dont des vétérans de l’armée américaine) de braqueurs de choc, au service d’une large organisation russo-israélienne (j’ai rien dit d’antisémite hein). Cette organisation n’étant pas du genre à laisser partir leurs collaborateurs facilement, elle oblige l’équipe (sous peine de représailles) à mettre en place un dernière opération, dantesque de butin et de complexité. Un des membres de l’équipe trouve la solution tactique : tuer un policier à un endroit précis, éloigné du lieu du braquage, afin de déclencher un code 999 qui ordonne à toutes les forces de police de la ville à se rendre dans la zone du flic abattu pour retrouver le coupable le plus vite possible. Le triple 9 leur donnerait ainsi toute la liberté pour mettre en place leur vol…Mais comme vous pouvez vous en douter, ça va méchamment se barrer en couille, car il y avoir plusieurs couacs dans l’exécution et du flic, et de leur plan.

Hormis ce concept bien déployé par un scénario encore une fois, Triple 9 vaut d’abord le coup par une vraie patte visuelle avec une caméra vive, précise, (les scènes d’action sont aussi immersives que lisibles) mais surtout un étalonnage profond, qui se joue de prononcés contrastes (je pense particulièrement aux scènes nocturnes), en accord avec la brutalité de certaines scènes qui n’épargne pas vraiment le spectateur. Violent comme il le faut, ne faisant pas de concession, le film est l’héritage du polar hard-boiled des années 70, qui prenait les enquêtes et surtout les personnalités de front, faisant fi de la moralité et de la bien-pensance. Un des flics ripoux est un braqueur et un tueur, mais très propre sur lui, méthodique, et se retrouve dans cette dernière périlleuse opération suite à une menace sur la personne de son enfant (tout de suite, ça humanise un personnage), tandis qu’un des inspecteurs chargés de l’enquête sur le braquage (joué par l’excellent Woody Harrelson) a, malgré ses talents, de sérieux problèmes de substances, à sniffer ou à boire, et une vie assez dissolue…Cette ambiguïté doublée d’une certaine vision de la société américaine (voir les scènes avec les gangs de latinos, ou le personnage de Casey Affleck) gratifient le film de Hillcoat de la mêmetriple-9-movie-2016-picture richesse thématique et sociologique qu’un Serpico (Sydney Lumet, 1973) pour citer un exemple. Dans un monde post-moderne, c’est ainsi que des films comme Triple 9 montrent l’intelligence ou du moins l’audace de certains gros films hollywoodiens, quand d’autres comme Conjuring 2 obéissent aux règles délétères d’un cinéma manichéen tel qu’Hollywood en était le reflet dans les années 50.

Les bonus de cette édition simple ne sont assez logiquement pas à la hauteur de la qualité du film qu’ils accompagnent. Deux featurettes, « Dans la ligne de mire » et « Un univers réaliste » sont pour le premier, plusieurs interviews croisés et n’apprenant strictement rien sur le film (matériel de promotion où tout le monde vante les mérites de tout le monde mais où artistiquement on apprend que dalle) et pour l’autre…La même chose, malgré un titre différent. La curiosité pourra s’orienter vers quatre scènes coupées/rallongées/alternatives dont l’intérêt n’est réellement que dans une scène de mise à mort d’un des personnages principales avec une frontalité surprenante et bienvenue…Quand même une scène alternative est bonne, ça en dit long sur la qualité du film.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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