Continuant sa déferlante diabolique de remake à la mords–moi-le-nœud , Hollywood revisite un énième chef d’œuvre de l’horreur, le mythique Poltergeist de Tobe Hooper, pour en livrer un énième produit sans saveur.
La Malédiction
On commence à s’y habituer, Hollywood, en manque cruel d’idées et de talents, semble avoir compris que le meilleur moyen de faire rentrer des dollars dans son escarcelle était de refaire, en moins bien, tous les grands films fondateurs de toute une génération de cinéphiles – la notre, qui écrivons ici – histoire de bien montrer au monde entier que le cinéma de genre, c’était mieux avant. Car oui, le cinéma de genre, et principalement d’horreur, est la première victime de cette machine infernale, dont les rouages, bien huilés, dupliquent à l’infini des formules et sagas déjà épuisées jadis par des suites le plus souvent ridicules et dénuées d’intérêt. Alors oui, bien sûr, vous pouvez brandir quelques exceptions qui me donneraient tort. J’entends que les remakes de La Colline à des Yeux de Wes Craven (1977) par Alexandre Aja (2006), de Halloween de John Carpenter (1978) par Rob Zombie (2007) ou encore de Maniac de William Lustig (1980) par Franck Khalfoun (2012) sont loin d’être honteux – et il y en a d’autres je vous l’accorde – mais qui peut accepter de fermer les yeux sur le tsunamis de merde ingérées et re-digérées, qui a déferlé depuis des années sur la production de genre ? Des multiples relectures ratées de Massacre à la Tronçonneuse (2004-2007-2013), Les Griffes de la Nuit (2010), Amityville (2005), Vendredi 13 (2009), La Malédiction (2006), sans oublier Carrie et sa version teenager navrante sobrement intitulée Carrie, la vengeance (2013) : autant de films qui se sont vautrés à trop vouloir se frotter aux maîtres de l’horreur. On croyait que le calme avait suivi la tempête, que fort de l’enseignement des échecs commerciaux de quasiment tous les films cités précédemment, Hollywood allait se résigner à tenter d’innover sur le terrain glissant de l’effroi. Quelques pépites indépendantes, qui rendent hommages aux vieux maîtres plutôt que de cracher sur leurs cadavres – je pense bien sur, en premier lieu, à It Follows (David Robert Mitchell, 2014) vibrant hommage à la filmographie du Big John – ont donné de l’air dans une production qui tendait à l’asphyxie face à l’overdose de production bas de gamme estampillé par les producteurs de Paranormal Activity. C’est donc au moment où on ne l’attendais pas du tout, que débarque ce remake du Poltergeist de Tobe Hooper, sorti en 1982 et devenu avec le temps, l’un des films d’horreur les plus importants de l’histoire du cinéma.
Le film original tient du mythe parce que, comme tout bon film culte, il est au cœur de multiples rumeurs – on dit que Steven Spielberg aurait en réalité dirigé la grande majorité des scènes, utilisant Tobe Hooper comme une façade, puisqu’il ne pouvait, contractuellement, pas tourner de film avant la sortie de E.T L’Extraterrestre (1982) – et s’est entiché d’une réputation de film maudit. Non pas au sens convenu du terme qui consisterait à employer l’expression pour parler d’un film mort-né mais au sens premier. Parce qu’il aborde le délicat sujet des phénomènes paranormaux – les Poltergeist sont des esprits dits frappeurs, qui hantent les maisons en déplaçant des objets et en faisant beaucoup de bruit – et que, par dessus le marché, la production du film aurait employé pour l’inoubliable séquence de la piscine, de vrais squelettes humains : on a vite désigné les morts prématurées et suspectes de plusieurs des comédiens du film, dont la jeune fillette, alors âgée de seulement douze ans, comme le fruit d’une terrible malédiction pesant sur le film et ses suites. Cette malédiction se répète aujourd’hui, puisque ce film culte à désormais le droit à l’un des pires remake de tous les temps.
Confié à Gil Kenan – un soldat peu brillant, que l’on connaît surtout pour avoir signé le sympathique film d’animation Monster House (2005) pour Zemeckis et Spielberg – ce remake reprend à peu près le canevas de l’original. Le film raconte donc l’histoire d’une famille américaine moyenne qui, alors qu’elle vient d’emménager dans sa nouvelle maison, se retrouve confrontée à des phénomènes paranormaux causés par des esprits un peu rigolards et pervers, qui veulent surtout embarquer leur gamine super chelou en balade dans leur camionnette de l’au-delà. Là où l’original était un vrai film sur les liens spéciaux qui peuvent unir un enfant et sa mère, le remake abandonne cette piste pour se recentrer sur les enfants. Le garçon de la fratrie – incarné par le beaucoup trop expressif Kyle Catlett, déjà le Jeune et Prodigieux T.S Spivet de Jean-Pierre Jeunet (2013) – devient ici le personnage principal et son lien avec sa sœur, le nœud de l’intrigue. Pour le reste, Gil Kenan ne fait que reproduire les figures et séquences fortes du film de Tobe Hooper, en essayant, avec les renforts devenus habituels des jump-scare et de la 3D, d’en faire toujours plus. Ainsi, la mythique séquence de l’arbre ressemble désormais à l’attaque des Ents dans le second volet du Seigneur des Anneaux (Peter Jackson, 2002) et le clown maléfique qui a terrorisé plus d’un gamin à l’époque, est désormais remplacé par une armée de nez rouges… La surenchère est telle qu’elle tourne vite au ridicule. Les quelques belles idées de l’original sont évaporées dans la grandiloquence. Si le film de Hooper gardait secret le monde des morts, le rendant ainsi plus effroyable car inconnu, celui-ci propose carrément d’en faire une visite guidée. La très bizarre et terrifiante chasseuse de fantôme avec sa voix fluette indéfinissable est remplacée par un vieux rouquin balafré animateur d’une télé-réalité ambiance maison hantée, dont la partition beaucoup trop guignolesque annihile totalement l’étrangeté du rôle original, auquel il tente pourtant de faire largement écho. Le constat est affligeant, de scène en scène, on a l’impression de voir une mauvaise parodie du classique de 1982, plus encore d’une version boursoufflée, gavée au pop-corn.
Rejouant la carte de la double fin saisissante du premier volet ce remake se prend les pieds dans le tapis par manque de malice. En effet, si ce retournement de situation était saisissant dans l’orignal, c’est parce que le scénario de Steven Spielberg avait l’intelligence de ménager le suspense et de graduer la tension tout du long. Ici, les esprits frappeurs sont très énervés et frappent forts dès le début. Les jump-scare transforment des apparitions d’écureuils en sursauts téléguidés et la séquence terrifiante du clown – dont j’ai déjà parlé et qui rappelons le clôture presque l’original – est cette fois dans le premier tiers du film. A trop jouer la carte de l’efficacité et des sursauts programmés, le film s’enlise dans une sorte de mélasse bruyante qui a défaut de plonger le spectateur en apesanteur, dans une attention de chaque instant et une frayeur vrombissante prête à exploser, le noie plutôt dans une mer d’ennui infinie.
Joris Laquittant