Double feature pour Stanley Donen, qui, à la veille des années 1980, après une carrière bien remplie (mais pas encore finie), rend hommage au cinéma de sa jeunesse, de ses débuts à Hollywood. Folie Folie (en V.O. Movie Movie) est une petite excentricité qui regarde en arrière avec nostalgie, humour et affection.
Ciné-cinéma
Deux films pour le prix d’un, c’est ce que propose Stanley Donen avec Folie Folie, qui offre, à l’image des légendaires doubles séances, une première histoire, puis une (fausse) bande-annonce en guise d’entracte, et une seconde histoire. Donen garde un seul et même casting, dont les acteurs principaux changeront donc trois fois de rôle. Le film s’ouvre avec une introduction de George Burns, grande figure du show biz américain de l’époque, qui revient sur la tradition des doubles séances. Puis l’introduction laisse place à Dynamite Hands : l’histoire du jeune Joey Popchik (Harry Hamlin), qui vit avec sa famille dans la misère et qui rêve de devenir un avocat renommé. Seulement, sa sœur est en train de perdre la vue, et pour tenter de lui offrir une possible guérison, Joey devient un boxeur après que l’ancien grand champion « Gloves » Malloy (George C. Scott) l’ait pris sous son aile. Mais Joey et Malloy doivent faire face à un manager véreux qui ne voit dans ce jeune boxeur talentueux qu’une machine à fric…
Pendant l’âge d’or du cinéma hollywoodien, le film de boxe était pratiquement un genre à part entière, et Stanley Donen et ses scénaristes Larry Gelbart et Sheldon Keller s’emparent d’un phénomène facile à parodier parce que très marqué, avec des films qui sont toujours sensiblement identiques. Ici, le genre est couplé avec le mélodrame période Grande Dépression. Joey vit dans l’espoir de s’en sortir, de gagner de l’argent pour faire vivre sa famille : une situation initiale que l’on retrouve très souvent dans les films de l’époque, et dans les autres œuvres qui prennent cette période comme contexte historique. Donen exprime son envie de s’essayer à la série B – envie qu’il poursuivra d’ailleurs dans son film suivant, Saturn 3, en 1980 – et la teste dans l’épisode Dynamite Hands : il filme des combats de boxe, se plaît à mélanger dans son casting vieilles gloires et jeunes premiers… Volontairement ou pas, les acteurs ne jouent pas très juste, le montage est parfois un peu grossier, et l’illusion devient alors parfaite. Folie Folie se pose comme l’un des films pionniers en matière de parodie, et dans l’idée, et le regard de Donen n’est ni critique, ni moqueur, mais affectueux et juste dans son travail d’analyse et de retranscription de l’esprit de la série B d’époque. C’est ce même sentiment d’affection, peut-être un peu plus marqué par le côté involontairement comique (qui l’est devenu avec le temps) du matériau d’origine, que l’on retrouve dans la fausse bande-annonce de Zero Hour, un film de guerre dans lequel on retrouve Scott, Wallach et Buttons dans les rôles de trois as de l’aviation (un autre sous-genre du cinéma d’action en vogue à l’époque) en mission durant la Première Guerre Mondiale. Le format bande-annonce est déjà plus propice à en faire un objet de parodie, et ça fonctionne.
Mais le clou du spectacle est bien sûr le second grand programme : Baxter’s Beauties of 1933. Spats Baxter (George C. Scott) est un grand producteur de spectacles sur Broadway qui apprend qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Avant de disparaître, il souhaite monter un dernier grand succès. En engageant un jeune comptable qui possède un talent caché pour l’écriture musicale (Barry Bostwick) et une jeune ingénue rêvant de devenir actrice (Rebecca York), Baxter va essayer de faire de cette dernière œuvre un ultime coup d’éclat. Ici, Stanley Donen s’attaque pour la dernière fois de sa carrière au genre qui lui est indissociable : la comédie musicale. Et à la manière de Chantons sous la pluie (1952), son troisième musical, qui utilisait comme contexte le passage du cinéma muet au cinéma parlant, le segment Baxter’s Beauties raconte le déclin du spectacle vivant dans les années 1930 au profit d’un autre divertissement, qui était tout juste devenu le 7e Art.
On le comprend assez vite, ce dernier segment se révèle vite très excitant. Baxter’s Beauties, c’est le feature film de cette double séance, le grand divertissement de cette soirée ciné condensée. En cinquante minutes, Stanley Donen réunit tous les ingrédients du genre qui a fait sa gloire et offre lui aussi un dernier coup d’éclat dans le genre musical. Barry Bostwick, alors star des planches (il a créé le rôle de Danny Zuko dans Grease en 1971, puis a été au cinéma l’un des héros du Rocky Horror Picture Show), prend ici un rôle de jeune premier, épaulé par un George C. Scott malheureusement sous-employé – l’intérêt principal de cet épisode réside dans les séquences musicales, auxquelles l’acteur ne participe pas (à l’exception du numéro final, à l’occasion d’un gag synpathique), ce qui déséquilibre un peu la balance. Et puis d’un autre côté, il y a Trish Van Devere, déjà présente dans Dynamite Hands, qui, elle, joue très très mal (on apprendra par ailleurs que l’actrice était à l’époque la femme de George C. Scott, et l’acteur insistait pour qu’elle obtienne un rôle dans chacun de ses films), mais c’est à peu près tout ce que ce segment a de négatif. On s’amuse, on en prend plein la vue avec des décors et des costumes magnifiques, et on rit aussi, notamment grâce aux chansons : sur des airs qui rappellent l’époque du swing, de Cole Porter et des Ziegfeld Follies, les acteurs chantent des textes qui n’ont aucune vocation à être pris sérieusement et qui se rient gentiment des textes un peu trop niais et bêtes contenus dans le numéros de ces spectacles.
Si Folie Folie n’a pas bénéficié, à l’époque, d’une distribution correcte et d’un manque d’intérêt de la part des spectateurs (en 1978, le Nouvel Hollywood avait déjà fait l’effet d’une tornade sur le monde du cinéma américain), il s’agit de la dernière grande œuvre de Stanley Donen, qui fonctionne par ailleurs comme un film-testament qui cache quelque chose de personnel. Le cinéaste, âgé de 90 ans aujourd’hui, n’a plus réalisé de long métrage pour le cinéma depuis 1984 (il est revenu exceptionnellement derrière la caméra pour réaliser un clip pour LionelRichie en 1986 et un téléfilm en 1999), et l’insuccès de ce film et l’arrivée progressive de nouveaux réalisateurs cultes depuis le début des années 1970 ont été autant de facteurs qui n’ont pas permis une vraie redécouverte collective de ce film à l’aura étouffée. Heureusement, Éléphant Films a rendu cela possible pour que le film puisse parvenir à un public français, et il est disponible dans les bacs depuis le 7 octobre dernier en DVD. L’œuvre a été remasterisée et bénéficie d’une image impeccable, aussi bien dans le noir & blanc joliment contrasté que dans le Technicolor éclatant de la seconde partie ; en ce qui concerne le son, le film est disponible en français et en anglais sous-titré, les deux pistes étant disponibles dans un Dolby Digital Stéréo qui ne manque pas de pêche. En bonus, on trouve une galerie d’images, les bandes-annonces de la collection et la présentation passionnante et instructive de cette encyclopédie sur pattes qu’est Jean-Pierre Dionnet. Si vous aimez les comédies musicales, si vous aimez le cinéma hollywoodien, si vous aimez Stanley Donen, Folie Folie est une immanquable petite perle.