High Rise


Après le sombre et violent Kill List (2011), le caustique Touristes (2012) et le déroutant English Revolution (2013), Ben Wheatley revient avec son nouveau film High Rise (2016), adaptation d’un roman de J.G. Ballard. Mais le réalisateur a t-il su s’approprier ce classique de l’anticipation des années 1970 ?

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Chaos A.D.

high-rise_22_aBen Wheatley est un cinéaste qui sait dérouter son spectateur – il n’y a qu’à observer le nombre de personnes sortant au beau milieu de ses films – et qui semble refuser d’être enfermé dans une case, préférant l’exploration de nouveaux horizons à chaque projet. Et quoi de mieux que d’adapter le cultissime IGH de Ballard, dystopie qui voit la chute d’une micro-société installée dans une tour de béton et aboutissant à une lutte des classes entre les riches vivant dans les étages supérieurs et les pauvres d’en-bas. Avec High-Rise, Wheatley met en image une sorte de descente vers la folie ascendante où un architecte a ce projet fou de créer un bâtiment qui a des allures d’expérience sociale au sein de laquelle les Hommes ne sont réduits qu’à une donnée.Visuellement, le film possède une image classieuse qui, au fur et à mesure que la révolte s’installe, va perdre toute stabilité – par l’utilisation quasi-permanente d’une caméra à l’épaule – au même titre que les résidents de cette tour qui sombrent dans la folie. Wheatley hypnotise avec ces compositions stylisées comme en témoigne entre autres la scène du suicide d’un des résidents. D’une violence et d’une intensité remarquables, on voit cette chute montée en parallèle d’une fête et qui fait office de signal déclencheur. L’innocence pour le moins superficielle va laisser place au bruit et à la fureur : la fête est finie, il est temps de faire face aux conséquences et ma foi la gueule-de-bois va être rude !

Si le film témoigne d’une grande maîtrise de son réalisateur de par des cadrages à la symétrie remarquable et une direction artistique sublime recréant les 1970s, la véritable singularité de cet objet filmique vient des choix faits par Wheatley et la scénariste Amy Jump, – également co-monteuse du film et épouse du réalisateur – offrant une adaptation assez fidèle du roman. Mais lesdits choix sont à l’origine du problème principal du film : peinant à trouver son rythme de croisière, la narration épileptique donne une impression de précipitation et confère un aspect « clipesque » à certaines séquences, montrant les limites de l’ambition de Wheatley avec un récit très (trop ?) dense pour rendre compte de manière fluide de la crise de conscience des personnages. Mais si cet aspect peut en rebuter certains, l’œuvre de Wheatley reste efficace et parvient à être une sacrée mise en image de la folie et du mal être social. Car High-Rise, c’est ce miroir retro-futuriste plein de hargne et de cynisme de notre société actuelle.

Le film est porté par un casting des plus excitants où tout le monde fait admirablement son travail. Faisant écho aux nombreuses ruptures de ton qui font basculer le film du thriller psychologique à l’horreur en passant par la satire politique acerbe à souhait – appuyée par la présence d’un discours de Thatcher -, il est difficile de mettre dans une case les personnages, à commencer par le protagoniste principal Docteur Laing. Incarné par un Tom Hiddleston irradiant le film de son charisme, il est une représentation du dilemme moral éprouvé par les résidents. Mais le plus intéressant est le côté mélancolique et détaché du personnage qui, dans un scénario plus « bankable », aurait dû être le repère moral du spectateur et prendre la tête de cette révolution glorieuse. Laing n’est ni un héros ni un lâche mais un être conscient de sa propre folie qu’il tente d’appréhender suite à un traumatisme et se révèle être le réceptacle des angoisses de la société de consommation. Les autres acteurs marquent le film de leur empreinte en particulier Jeremy Irons, Sienna Miller mais surtout Luke Evans dont le personnage incarne le mieux, à mon sens, l’humanité dans ce récit avec ce père de famille « borderline », têtu et à la franchise rentre-dedans qui se battra jusqu’au bout. On peut même se demander, de par son métier de réalisateur, s’il n’est pas un avatar de Wheatley…Le film doit aussi beaucoup à une ambiance sonore maîtrisée, rendant compte de l’enfermement des personnages mais aussi de leur malaise lorsqu’ils quittent la tour. Peu à peu, l ‘étau se ressert et les personnages vivent en totale autarcie, le monde s’arrêtant aux portes du high rise. Mais le film ne serait rien sans sa musique, parfait mariage entre musique classique et quelque chose de plus « punk », plus brut au sein d’un tout cohérent orchestré par le toujours très pertinent Clint Mansell (mention spéciale au groupe Portishead pour leur reprise de la chanson SOS de Abba) .

High Rise c’est une vision du chaos. Un film qui veut montrer les dérives d’une société et le retour à un état animal des Hommes dans tous les travers possibles et imaginables. Inégal mais avec une énergie rafraîchissante, Wheatley marque le spectateur par sa vision, que l’on ait apprécié le film ou pas.


A propos de Mathieu Pluquet

C'est après avoir découvert Le Voyage de Chihiro, Blade Runner et L'Exorciste que Mathieu se passionne pour le cinéma; depuis cette passion ne l'a pas quitté. Sinon il aime les comics, le café et est persuadé qu'un jour il volera dans le TARDIS et rencontrera le Docteur (et qu'il pourra lui piquer son tournevis sonique). Ses spécialités sont la filmographie de Guillermo Del Toro, les adaptations de comics et le cinéma de science-fiction.

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