Life of Belle


Shadowz nous propose une nouvelle production horrifique, Life of Belle (Shawn Robinson, 2024), qui tente de répondre de la manière la plus superficielle possible à la question d’une vie sur-connectée d’une (trop) jeune influenceuse, dans un traitement à la found footage, d’ailleurs bien pauvre. Retour sur une copie ratée de Paranormal Activity (Oren Peli, 2007).

Vue subjective sur une maman jouant avec ses deux petits enfants dans une chambre ; la vue est comme celle de quelqu'un caché derrière le lit ; issu du film LIfe of Belle.

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Paranormal psycho-activity

Les réseaux sociaux deviennent presque omniprésents au point de laisser fleurir des influenceurs de plus en plus jeunes, promettant gloire et finance abondante. Nombre de cas se sont révélés être tout à fait malsains, entre mise en danger de ces enfants influenceurs et exploitation par leur parents du succès qu’ils ont. De là se lancent des paniques morales par rapport à l’exposition de jeunes enfants sur internet – à raison ou non, là n’est pas notre rôle de juger – et des films commencent à prendre le pas de traiter de ce sujet. Life of Belle fait partie intégrante de ce moule. La trame est simple : la jeune fille, Belle, reçoit une caméra pour commencer sa trépidante vie de créatrice de contenus de la part de ses merveilleux parents qui au passage mettent sous surveillance leur deux enfants (The American Way !!) avec différentes caméras de sécurité nous permettant d’avoir un panel d’informations tout le long du récit. Mais le problème vient de la mère : nous apprenons qu’elle souffre de troubles psychotiques, criant en pleine nuit et changeant complètement de personnalité à certains moments – nous nous attarderons plus tard sur le traitement de la folie dans le film, il y a du pain sur la planche. Si au début le père est là pour maintenir une forme de stabilité, un voyage professionnel opère une déroute. Petit à petit, l’équilibre fragile qui s’était installé dans le foyer s’écroule… Et nous spectateurs, tel des vautours assoiffés de contenus, nous pouvons assister à cette descente aux enfers par le biais d’images retrouvées des caméras de surveillance.

Les deux parents Starnes assis autour d'un feu dans leur jardin ; scène du film Life of Belle.

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Et c’est là que nous entrons dans le premier problème de Life of Belle. Je suis particulièrement attirée par les films d’horreur en found footage, la découverte de Cloverfield (Matt Reeves, 2008) m’a rendue tellement accro que je l’ai regardé deux fois de suite, REC (Jaume Balagueró & Paco Plaza, 2007) a créé des angoisses et des terreurs nocturnes et enfin je dois citer Blair Witch Project (Eduardo Sánchez & Daniel Myrick, 1999), découvert sur le tard mais qui brille par son efficacité. La période entre fin des années 90 début 2000 où ce genre horrifique se développait très vite, pour de nombreux avantages de production (rapide à faire, peu couteux…) a été à l’origine d’une sur-représentation du genre dans le cinéma. Une fatigue s’est installée chez le public, mais les studios et cinéastes n’ont pas l’air d’avoir eu l’info étant donné que Life of Belle a bien eu le droit à une distribution. Déjà, au moment de l’essoufflement du genre, peu de films en found footage arrivent finalement à être appréciables. Et le fait de vouloir relancer la machine malade de ce sous-genre horrifique fait beaucoup de mal à Life of Belle. Il est par essence un mauvais found footage en essayant de reprendre une formule à la Paranormal Activity qui avait fonctionné à l’époque pour sa proposition esthétique innovante, c’est-à-dire les caméras de surveillance en vision de nuit. Or deux choses permettent à la fois de comprendre ce qu’a voulu faire Shawn Robinson, mais surtout pourquoi ça ne marche pas : le réalisateur utilise deux techniques de mise en scène qui sont très utilisées dans le genre, la représentation par les caméras de surveillance, et la steady cam modifiée, crassifiée – si je peux me permettre ce néologisme – pour donner une impression de réalisme, d’images sur l’instant. Si beaucoup de films du genre utilisent l’une ou l’autre technique, c’est pour rendre compte donc d’une forme de proximité avec les personnages, pour nous dire que nous pourrions vivre la même chose – c’est notamment pour cette raison que beaucoup de found footages rentrent dans leur grande majorité dans l’horreur, pour créer une forme d’inconfort dans la contradiction réalité/fantastique. La bêtise de Life of Belle réside précisément dans le fait de mélanger les deux, changeant régulièrement les points de vue, créant un inconfort visuel et narratif. Nous passons régulièrement des caméras de surveillance à la vidéo tourné par Belle. Nous pouvons comprendre la volonté de Robinson de mettre en scène de cette façon, une manière pour lui d’apporter une forme d’originalité au genre, mais ces changements finissent par rendre le produit particulièrement brouillon.

Nous rentrons alors plus profondément dans le sujet de Life of Belle et de sa médiocrité quand nous nous rendons compte à quel point le film ressemble à une production toute droit sortie d’un projet de youtubeur qui s’amuse à faire des vidéos d’horreur. Et cela prend tout son sens quand nous apprenons que c’est un budget dérisoire de 300$ qui a été débloqué. La comparaison à des projets de vidéastes – et non pas de cinéastes – s’entretient dans le rythme maladroit et les thématiques propres à la plateforme. Le found footage a beaucoup été repris par YouTube, et certains projets, bien que peut-être encore très amateurs, apportent un vent de fraîcheur dans le style – nous pensons à Kane Pixels qui à son jeune âge parvient à créer des univers comme The Oldest View ou les Backrooms –, tandis que d’autres s’engraissent dans une sorte d’amateurisme dommageable sans chercher à en sortir. Si les projets, par exemple de Kane Pixels fonctionnent, c’est bien en partie parce qu’il ménage sa mise en scène sans la rendre complètement indigeste en multipliant les sources et techniques d’enregistrement comme le fait Shawn Robinson. Et la folie des found footage continue sur toutes les plateformes possible et imaginables…

Le salon de la famille Starnes, dans Life of Belle, plongé dans la nuit ; seule une silhouette fméinine de dos, semble présente au fond de la pièce.

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Vous ne l’avez pas oublié, nous non plus, rappelons que dans Life of Belle, la santé mentale est traitée… D’une manière qui nous questionne. La mère de Belle est sujette à une forme de schizophrénie et nous le constatons petit à petit par des gestes inhabituels devant les caméras, des discussions nocturnes avec des entités. S’il est courant dans les films d’horreur de traiter de la folie de manière surnaturelle et donc d’expliquer les troubles mentaux par ce biais-là, ce qui peut déjà nous interroger, le long-métrage de Shawn Robinson peut faire tiquer tant la question de la schizophrénie de la mère sert d’excuses pour créer des scènes à la Blair Witch Project, sans la qualité. Prenons par exemple la fin où Belle tente de s’enfuir de la maison : sa mère tente de l’en empêcher et apparaît de manière complètement aléatoire, avec le flash du téléphone qui n’a de discret que l’adjectif… L’ambiance ne prend pas, l’actrice ne convainc pas, s’embourbant dans une forme caricaturale de folle qui nous devons bien l’avouer n’a rajouté que de la gêne au visionnage qu’autre chose.

C’est bien dommage, car la scène d’introduction était alléchante, avec un vrai travail de mise en scène sur la caméra portative du policier, et nous regrettons presque que ça ne garde pas cette forme sur le long terme. Life of Belle aurait presque pu devenir un produit qui se dégage de son inspiration trop proche de ce qui se fait généralement sur YouTube.


A propos de Jade Cousseau

Des bagarres kitsch dans des séries et films japonais au budget plus ou moins important, voilà ce qui fait plaisir à Jade. De crises identitaires à la simple jouissance d’une ville détruite par les pas d’immenses créatures, elle a décidé de consacrer ses recherches d’étudiante en cinéma sur les masques et les monstres du cinéma japonais. Elle ne peut pas non plus s’empêcher de ramener sur la table à quel point David Cronenberg est son réalisateur préféré, ainsi que son obsession pour le body horror et son lien aux études queers. Vous la verrez en train de courir dans tous les festivals de cinéma où elle peut aller, autant en tant que festivalière qu’en tant que bénévole !

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