Conclave


Fort du succès d’À l’Ouest, rien de nouveau (2022), le cinéaste allemand Edward Berger revient avec Conclave (2024), une adaptation des écrits de Robert Harris. Un thriller paranoïaque dans les couloirs du Vatican où le scrutin pour nommer un nouveau pape est le prétexte parfait pour parler de la Curie.

Conclave Edward Berger Ralph Fiennes

© Diamond Films

Les Hommes du Vatican

L’écrivain et journaliste britannique Robert Harris n’est pas tout à fait étranger au cinéma. En effet, celui-ci a plusieurs fois vu ses écrits adaptés – Enigma (Michael Apted, 2001), avec Kate Winslet par exemple – et a même collaboré directement à l’écriture des dites adaptations avec le très controversé Roman Polanski pour The Ghost Writer (2010) et J’accuse (2019). Il s’agit là d’un auteur qui a à cœur de percer les mystères, de l’antiquité à nos jours, des ambiguïtés de faits historiques et des dirigeants du monde. Et si le Vatican est considéré comme un État à part entière, il parait alors logique de le voir s’intéresser aux jeux de pouvoir au sein de l’Église catholique. Edward Berger, qui sort auréolé du succès artistique et critique de la production Netflix À l’Ouest, rien de nouveau (2022) se glisse donc dans ses pas pour signer son premier film produit en dehors de l’Allemagne : Conclave. L’histoire ? Après la mort du pape, le cardinal Lawrence est missionné pour organiser le prochain conclave – un temps protocolaire, solennel et en huis clos où des cardinaux des quatre coins du monde viennent sélectionner le prochain souverain pontife. Alors que plusieurs lignes de pensée s’affrontent et que les ambitions des uns se révèlent aux autres, Lawrence va découvrir quelques secrets, dont certains bien cachés par le défunt pape.

Conclave Edward Berger isabella Rossellini

© Diamond Films

D’emblée, de par sa nature de huis clos et son contexte assez exotique pour nous simples mortels, la promesse de Conclave emballe. D’autant plus que dès les premières minutes, Edward Berger déploie une ambition esthétique très forte qui s’appuie sur deux piliers : ses décors et son filmage. Les vastes bâtisses du Vatican sont ainsi reproduites avec un souci du détail qui confine au prodigieux. La direction artistique est vraiment à saluer tant elle se repose sur des aspects que l’on connait plus ou moins tous comme la Chapelle Sixtine, et d’autres que l’on ne peut que deviner comme des lieux de vie – salle de projection, chambres et réfectoire où s’invite la technologie – qui viennent bousculer notre imaginaire. Il y a donc là un mélange entre ancien et modernité, une dualité qui vient soutenir le propos même du film où des courants de pensée s’entrechoquent dans des échanges aux petits oignons. La production, qui a, depuis la sortie, diffusé de petits reportages sur la conception des décors, a véritablement mis le paquet et c’est l’un des points les plus vertigineux du long-métrage. Or que ce serait une belle direction artistique sans une bonne mise en scène ? Pas grand-chose et le cinéaste allemand profite de cet environnement pour parfaitement millimétrer ses mouvements de caméra et son sens du cadre. Si certains plans font clairement écho à l’histoire de la peinture – notamment dans une scène où un puis de lumière vient s’inviter aux délibérés – en appuyant la nature extraordinaire des évènements, d’autres, plus naturels, illustrent une trivialité confondante – deux cardinaux en train de fumer contre un mur fendillé. Toujours cette dualité au service du scénario.

Conclave Edward Berger Ralph Fiennes Sergio Castelitto

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Car le clivage est au cœur même de Conclave. Les cardinaux aspirants à devenir pape diffusent leurs idées. Progressistes pour certains qui parlent sans ambages de la pédocriminalité au sein de l’Église, évoquent la possibilité de voir les prêtres se marier, ou imaginent intégrer la femme dans la hiérarchie. Conservatrices pour d’autres qui n’imaginent pas un pape noir, fustigent encore le concile Vatican II, et entendent mener la vie dure aux homosexuels et aux musulmans. Pour autant, Berger ne fait pas la leçon ; chaque camp n’est pas tout blanc ou tout noir, les progressistes usent des mêmes ressorts obséquieux que les autres pour arriver à leurs fins. Non, ce qui intéresse ici le réalisateur, c’est plutôt cette zone grise où Lawrence, brillamment interprété par Ralph Fiennes que l’on n’avait plus vu aussi bon depuis longtemps, réfléchit à sa vocation même. Dans ce marasme qui rappelle que le Vatican a un système politicien comme les autres avec ces luttes intestines, la question de la foi n’est pas éludée. Au contraire, elle vient se rappeler brutalement à ceux qui prétendent la servir. L’intelligence de Conclave réside dans ce point de vue extérieur d’Edward Berger ; les jeux de pouvoir masquent trop régulièrement la mission originelle de l’Église et le rôle du genre féminin. Le contexte du film – où une bonne centaine de bonshommes se réunissent – aurait pu mettre sous le tapis la question de la place de la femme au sein de l’ordre religieux. À la faveur du personnage d’Isabella Rossellini, remarquable elle aussi, et de dialogues sur le sujet, Berger prend à bras le corps ces questions qui paraissent en décalage complet avec le reste de la société moderne.

Conclave Edward Berger Ralph Fiennes

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Ce qui ressort, au final, de Conclave, c’est sa tonalité qui oscille entre drame personnel – celui de Lawrence – thriller tendu – y a-t-il un complot au sein de la Curie ? – et un humour assez surprenant compte tenu des enjeux. Certaines répétitions telles que ces moments où la fumée annonçant qu’aucun pape n’a pu être retenu, font sourire. Mais surtout, le final ou plutôt le plot twist, que l’on ne spoilera pas parce qu’on est gentils chez Fais Pas Genre mais qui risque de faire jaser les spectateurs les plus pieux, est un pied de nez malicieux aux extrémistes de tous poils. Le tout est magnifiquement porté par un casting essentiellement masculin composé de Ralph Fiennes en tête, mais aussi de Stanley Tucci, John Lighgow ou Sergio Castellitto. Le seul point que l’on pourrait qualifier de négatif serait ce côté trop « machine à Oscars ». D’ailleurs l’affiche française le précise : Conclave est taillé pour les cérémonies les plus prestigieuses. Non pas que ce soit un vilain défaut, mais cela se sent par moment un peu trop dans l’interprétation des comédien.nes. Reste qu’à part cet aspect-ci, difficile de bouder son plaisir quand le nouveau long-métrage d’Edward Berger séduit à ce point et possède tant d’atouts. Le thriller paranoïaque clérical, voilà la voie qu’emprunte le cinéaste – qui a bien réviser ses classiques car on pense beaucoup aux cinémas d’Alan J. Pakula ou de Sydney Pollack – en toute maitrise et en toute précision.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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