Avant de connaître la célébrité en réalisant Hellraiser (1987), Clive Barker, outre ses activités de romancier, a exercé sa plume comme scénariste sur Transmutations (1985) et Rawhead Rex (1986) édité par Rimini Editions laissant à George Pavlou le soin de se coller à la réalisation de ces deux films. Déçu par le premier, Barker va néanmoins scénariser le second, convaincu par les arguments de Pavlou et n’ayant de toute manière rien d’autre à se mettre sous la dent.
![Le monstre du film Rawhead Rex tient une tête de jeune homme découpé dans sa main.](https://faispasgenre.com/wp-content/uploads/2024/12/rawhead-rex-critique-monstre-350x199.png)
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Gorilla in excelsis deo
Le script était pourtant prometteur et le potentiel horrifique élevé : une histoire qui fleurait bon les meilleurs heures de la Hammer, mais avec la modernité de son jeune auteur. Dans un patelin perdu d’Angleterre, un agriculteur libère involontairement une créature démoniaque, enterrée ici depuis des siècles. Le géant fait un carnage parmi la population avant d’être terrassé par une pierre mystique et achevé par des villageois en colère… A partir de sa nouvelle, Clive Barker écrit un scénario retravaillé pour l’écran en ajoutant le personnage de l’historien Howard Hallenbeck (David Dukes) qui planche sur un livre traitant de rites ancestraux. Celui-ci arrive dans ce village paisible avec sa petite famille (en Renault Espace V1, s’il vous plaît, et sans que personne ne porte sa ceinture de sécurité… So 80s !). Sur place il se rend à l’église dans laquelle sur un étrange vitrail est représentée la tête d’un monstre infernal. Le vicaire (Ronan Wilmot) – qui ne va pas tarder à se retrouver possédé par l’être démoniaque en question – reçoit le visiteur avec une certaine hostilité. Peu de temps après, la créature se déchaîne et Hallenbeck l’aperçoit dans la forêt. La police est bien entendu aux fraises et ne croit pas une seule seconde à son existence jusqu’à ce que d’autres massacres dont le propre fils de l’historien ne la mettent devant l’évidence.
![Un prêtre brandit un crucifix dans une église ; à ses côtés un autre prêtre apeuré en train de hurler ; scène du film Rawhead Rex le monstre de la lande.](https://faispasgenre.com/wp-content/uploads/2024/12/rawhead-rex-critique-pretre-350x195.jpg)
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Tous les ingrédients, dont un budget assez confortable, étaient réunis pour délivrer un bon petit film d’horreur. Mais rien ne se passe comme prévu : des coupes drastiques dans l’enveloppe initiale de 5 millions de dollars sont effectuées faute de partenaires financiers, le tournage est délocalisé au fin fond de l’Irlande, en plein hiver, où peu de gens ont les compétences nécessaires à la construction de décors et, cerise sur le gâteau, les délais sont également raccourcis. Parmi les fâcheuses conséquences, certaines scènes souhaitées par George Pavlou passent à la trappe et le costume du monstre doit être fabriqué à la va-vite. On se retrouve en lieu et place de la grande créature longiligne au crâne phallique imaginée par son créateur avec un gorille en caoutchouc vaguement punk, à la mâchoire acérée démesurément prognathe. L’ennui, c’est que ce « Rawhead » a une bouille figée assez ridicule malgré ses crocs sanguinolents. Même sa sauvagerie envers ses victimes peine à inspirer une quelconque terreur. Confronté à ces diverses contrariétés, Pavlou lui-même ne sait plus exactement sur quel pied danser, hésitant entre le suggéré et le sanglant. Il doit livrer un film de monstre mais ne sait pas toujours comment traiter la situation : l’aspect horrifique, déjà mis à mal par la bête lui-même, est un peu bancal, trop de bidoche à certains moments, pas assez à d’autres. C’est donc avec un certain recul et une bonne dose de second degré qu’il faut appréhender cette série B qui marquera quasiment la fin des ambitions de son metteur en scène. Clive Barker, éloigné du tournage et dépité pour la seconde fois lorsqu’il voit le résultat, deviendra son propre réalisateur, avec le succès que l’on sait sur Hellraiser (1987). Et son personnage de Rawhead sera finalement adapté en BD quelques années plus tard, tel qu’il l’avait imaginé.
Malgré tous les déboires et les défauts, Rawhead Rex, le monstre de la lande n’est pas totalement à jeter aux oubliettes, même si les dernières secondes, ajoutées en douce par la production, achèvent de saboter une œuvre qui n’en avait pas besoin. Quelques scènes peuvent tout de même réveiller le spectateur somnolent (ou hilare) comme l’immolation des policiers par l’un de leurs confrères possédé, l’attaque du camp de caravanes par Rawhead (avec son lot d’hémoglobine et de nudité gratuite), ou encore l’affrontement final qui oppose Hallenbeck et sa femme au monstre. On retrouve aussi ça et là quelques moments bien transgressifs pour l’époque qui rappellent que Barker est au scénario : le meurtre d’un enfant, le baptême du vicaire par un jet d’urine de la créature, l’artefact féminin et sa vulve disproportionnée découvert par l’historien dans l’église… Par ailleurs, la musique symphonique et épique de Colin Towns, bien qu’envahissante, a plus de cachet que les bandes originales génériques jouées au synthé, très courantes dans le bis à l’époque. Tellement de cachet qu’elle est souvent en décalage avec ce qui se passe à l’écran.
Le livret écrit par Marc Toullec, qui narre la genèse et les galères de production du film constitue le seul bonus contenu dans le combo DVD/Blu-ray proposé par Rimini Editions. L’image restaurée ne souffre pas de reproches, si ce n’est qu’elle est granuleuse à quelques rares moments et saturée (volontairement ?) dans les rouges à d’autres. On préférera naturellement la version originale sous-titrée au doublage français, sauf si on souhaite pousser l’expérience « soirée 80s et pop-corn entre amis » jusqu’au bout, ce qui finalement peut se défendre étant donné le caractère non mémorable mais distrayant de Rawhead Rex.