Camping du Lac


Dans Camping du Lac (Éléonore Saintagnan, 2023), il est question de se perdre, de se retrouver, et de se laisser envoûter par le charme de l’ordinaire, mais aussi par sa magie. L’ordinaire prend ici la forme d’un camping perdu au fin fond de la Bretagne et la magie celle d’un monstre légendaire qui habiterait le lac avoisinant. À la croisée entre Big Fish (Tim Burton, 2003) et un épisode de Strip Tease (Jean Libon et Marco Lamensch, 1985 — 2012), le long-métrage explore notre rapport aux croyances avec un certain surréalisme.

Un homme sur une barque isolée sur un étang, dans le film Camping du lac.

© NORTE DISTRIBUTION

Believe

Il est de ces endroits que l’on découvre au détour d’un hasard et où l’on se sent instantanément et inexplicablement à sa place… C’est ce dont la protagoniste et narratrice — Éléonore Saintagnan elle-même — fait l’expérience en arrivant dans ce fameux Camping du Lac, à la suite d’une panne de voiture sur les routes bretonnes. Elle qui carburait telle une Thelma ou une Louise en quête d’évasion, s’est ainsi vue arrêtée par le destin et conduite dans un endroit dont l’insignifiance apparente n’aura d’égale que la fascination que le petit monde qui y vit engendrera chez elle — et par extension, chez les spectateur.ices. On ne va pas se le cacher, cette trame initiale est très similaire à celle d’un autre long-métrage, sorti en 2006 et voulant rendre hommage à l’un des lieux préférés des vacancier.ères : j’ai nommé Camping (Fabien Onteniente, 2006), sans mentionner les 2 autres qui ont suivi… Que celles et ceux qui ne portent pas cette franchise dans leur cœur se rassurent, dans Camping du Lac, il n’y a ni beauferies ni maillots de bain moulants, pas de casting star system non plus, seules l’authenticité et la poésie qui ponctuent le récit.

Une jeune femme se baigne dans une mare, dans le film Camping du Lac.

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Revenons à nos mousquetons… Le camping est par essence un lieu lié à la nature, aux espaces ouverts, à la liberté, voire à l’inconnu. Dans les cinémas de genre, et en particulier les films d’horreur, il devient le théâtre de funestes événements, souvent associés à des légendes. En effet, tout le monde se souvient du Camp de Crystal Lake et de la sombre histoire de Jason Voorhees dans Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980). Il est également question de camper, cette fois à la sauvage, dans Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, 1999) lorsque les trois étudiants explorent un bois qualifié de hanté par les locaux. Il faut dire que le camping et les histoires — effrayantes ou non — font bon ménage car c’est initialement au coin du feu que les légendes se transmettent, comme le faisaient nos ancêtres. La communauté joue un immense rôle dans la constitution de l’imaginaire collectif, et c’est justement ce qui est mis en scène ici, avec cette histoire de monstre du lac issus du mythe religieux de Saint Corentin de Quimper et adaptée avec le temps pour expliquer l’inexplicable présence d’un immense poisson dans les eaux. Difficile de ne pas penser à Big Fish (Tim Burton, 2003), dans lequel le poisson légendaire symbolise les ambitions du héros mais aussi le pouvoir de la narration. Ici le poisson sert de lien entre passé et présent, faisant le pont entre croyances traditionnelles et miracles modernes. Il permet également au camping de s’ouvrir sur le monde en rameutant des hordes de touristes venus profiter de ses prétendues vertus. En quelque sorte, il représente notre besoin de nous accrocher à quelque chose afin de donner du sens à la vie — ce qui est le cas des légendes de manière générale.

Je parlais de la relation entre camping et film d’horreur, mais Camping du Lac n’en est pas un. Il n’est d’ailleurs pas simple de le ranger dans une catégorie en particulier et on aurait tendance à vouloir le classer parmi les inclassables. La vérité se trouve quelque part entre le documentaire — pour la manière de filmer très proche du réel et le choix de ne pas faire appel qu’à des acteur.trices professionnel.les — et le film fantastique — pour son attrait pour le surnaturel et sa mise en scène finale de la bête du lac. Il y a aussi une belle légèreté qui se dégage du film, le tout couplé à un humour subtil et décalé — oserais-je dire typique d’une co-production belge ? Quoi qu’il en soit, Éléonore Saintagnan n’en est pas à son premier essai cinématographique et ce mélange subtil de réalité et de fiction, expérimentant avec les genres, caractérisait déjà ses deux courts-métrages précédents Les Bêtes Sauvages (Éléonore Saintagnan et Grégoire Motte, 2015) et Une fille de Ouessant (2017). Camping du Lac semble donc bien s’inscrire dans la continuité de l’œuvre de la réalisatrice et plasticienne. Ce dernier a par ailleurs tapé dans l’œil du jury du Festival de Locarno, où il a remporté le Prix spécial du Jury CINE.

Une femme, pensive, a le menton posé sur ses avant-bras, assise dans un bateau ; plan du film Camping du lac.

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Camping du Lac fait partie de ces expériences cinématographiques qui nous marquent sans que l’on s’en rende bien compte sur le moment. À l’instar d’un film comme The Florida Project (Sean Baker, 2017), on regarde la vie des personnages se passer, on s’attache à eux et à ce qui les rend uniques, à leurs petites habitudes, etc. Bref, on se laisse envoûter — à ce propos, énorme coup de cœur pour la bande originale co-signée par Yannick Dupont et Gaetan Campos, qui nous plongent vraiment dans différentes atmosphères. Puis, on se met à réfléchir à ce que l’on essaie de nous dire. À travers cette histoire de monstre du lac, on aborde aussi le thème de l’écologie et de la transformation de l’environnement par l’être humain, notamment via le tourisme de masse. Les événements qui se produisent au camping nous montrent que l’ouverture au monde peut apporter autant de positif que de négatif. Enfin, la conclusion de l’histoire insiste aussi sur la force du collectif et rappelle l’importance de ne pas abandonner, même lorsque le mythe meurt… Je terminerai sur une note un peu fan girl en mentionnant le caméo de Rosemary Standley — chanteuse du groupe Moriarty — que je n’attendais pas et qui nous offre une très belle scène de retrouvailles entre un poor lonesome cowboy et sa fille. Second point bonus : la promotion de la langue bretonne qui, comme toutes les langues régionales, mérite d’être incluse dans la culture. Ainsi, si vous êtes en quête d’évasion, de Far West à la française et de légendes cryptozoologiques, Camping du Lac est peut-être le film que vous devriez regarder.


A propos de Andie

Pur produit de la génération Z, Andie a du mal à passer plus d'une journée sans regarder un écran. Ses préférés sont ceux du cinéma et de la télévision, sur lesquels elle a pu visionner toutes sortes d'œuvres plus étranges et insolites les unes que les autres. En effet, elle est invariablement attirée par le bizarre, le kitsch, l'absurde, et le surréaliste (cela dit, pas étonnant lorsque l'on vient du plat pays...). Ne vous attendez surtout pas à trouver de la cohérence dans ses choix cinématographiques... Malgré tout, elle a un faible pour les comédies romantiques et les films surnaturels. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riobs

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