Premier film de Ishana Night Shyamalan, fille de M. – réalisateur entre autres de Sixième Sens (1999) ou Le Village (2004) – Les Guetteurs (2024) part d’un concept alléchant sur le papier mais qui, sans des épaules assez larges pour s’en emparer, fait courir le risque d’un effondrement des bonnes idées de ce premier essai…
Tuer le père, mais pas trop.
Comment ne pas faire le rapprochement entre la cinéaste et son père quand le sujet, l’atmosphère et les défauts des Guetteurs semblent si connexes à l’œuvre de M. Night Shyamalan ? Nous essaierons de le faire le moins possible dans cette critique, promis, mais tout de même ; ce long-métrage aurait tout aussi bien pu être un nouveau projet alambiqué du réalisateur d’Incassable (2000) ! En témoignent une direction artistique qui convoque le cinéma du père, une musique qui pompe allègrement les violons de James Newton Howard sur Le Village, et un goût visiblement prononcé pour les concepts et twists en tous genres. Ce n’est pas bien grave dans la mesure où l’auteur de ces lignes adore le Shyamalan de la parenthèse enchantée de 1999 à 2004. Sauf qu’Ishana aura plutôt la réussite des opus les moins aboutis de son inégal paternel… Les Guetteurs raconte donc l’histoire de Mina, jeune américaine traumatisée par la mort de sa mère, qui vit en Irlande. Devant livrer un oiseau dans un coin reculé, elle traverse une forêt et sa voiture tombe en panne. Alors qu’elle est perdue, elle croise la route de Madeline qui l’accueille dans un bunker surnommé « le poulailler » où elle rencontre deux autres occupants. Les quatre sont en fait observés par ceux que l’on nomme : les guetteurs.
Le contexte sylvestre du long-métrage rappelle bien évidemment Le Village – oups, on revient sur M. Night – tant par son usage d’une menace permanente que par les nombreuses règles qui régissent le monde développé ici. Et on peut dire que la promesse qui occupe le premier acte du récit est plutôt bien menée, car au-delà du petit jeu des similitudes familiales, on perçoit chez celle qui a fait ses premières armes dans la série Servant (M. Night Shyamalan, 2019-2023), un véritable savoir-faire. La tension et le mystère sont bien dosés et on finit par trépigner d’en savoir plus sur ces guetteurs qui ne semblent pas vouloir que du bien à nos pauvres égarés. De plus, Ishana Night Shyamalan joue habilement, comme son père, des symboles – pas toujours subtils – pour en extraire un carburant pour son intrigue. On peut évoquer également, du côté des bons points, la façon dont elle s’amuse – là encore pas toujours de façon légère – de la dualité de ses personnages, qu’il s’agisse de jumeaux, de créatures métamorphes ou bien évidemment du reflet de ce miroir qui sépare les deux mondes. En bref, Les Guetteurs soigne son entrée en matière et sa présentation d’un monde et ses lois inhérentes. Sauf que si cela suffit à faire un bon court-métrage, il faut pouvoir tenir les soixante minutes restantes, et c’est là que le film s’écroule sur lui-même.
Le défi des films à concept est que le soufflet ne se dégonfle pas une fois les choses établies. Combien de productions Blumhouse ont été bâclées à cause d’une idée certes attrayante mais insuffisante pour tenir sur six bobines ? On a parfois d’ailleurs reproché à M. Night Shyamalan – décidément, c’est plus fort que moi ! – de se reposer uniquement sur ses concepts. L’objet de la discorde, en particulier, c’est souvent Le Village que certains pensent dénué d’intérêt une fois son mystère éclairci. Or, ce film, au-delà de son concept, était avant tout une sublime histoire d’amour et une réflexion sur une Amérique du repli… Vu qu’Ishana cite papa, autant définitivement se le permettre : dans Les Guetteurs, de quoi les créatures sont-elles la représentation ? Un miroir de notre monstruosité comme le suggère maladroitement le téléviseur diffusant de la télé-réalité ? Oui mais encore ? Au final, alors que nous étions en droit d’espérer un ensemble solide et un sous-texte imparable, on se retrouve avec une démo technique certes efficace – quoiqu’on puisse évoquer un dernier quart d’heure où les CGI sont vraiment laids – mais creuse, sans profondeur et impersonnelle au possible tant la conclusion est prévisible à souhait. Si en embrassant le folk horror et les territoires de la vieille Europe auxquels on associe inconsciemment le genre, la né(p)o cinéaste parait vouloir s’éloigner du territoire de Pennsylvanie de M. Night, son premier film ne peut que souffrir la comparaison avec lui…