Un meurtre au bout du monde (Mini-Série)


Après l’arrêt brutal de leur série The OA (2016-2019) sur Netflix, les deux créateurs Brit Marling et Zal Batmanglij reviennent chez le concurrent Disney+ pour une œuvre qui, à première vue, semble aux antipodes de leurs délires métaphysiques précédents. Retour sur Un Meurtre au bout du monde (2023), leur nouvelle mini-série sortie en fin d’année dernière et sur laquelle il nous semblait nécessaire de revenir.

Une jeune femme pose son oreille contre une porte en bois, inquiète, attentive dans la série Un meurtre au bout du monde.

© Disney +

Love Death and Robot

La première saison de The OA avait beaucoup marqué les amateurs de science-fiction et de questions métaphysiques tant elle explorait et questionnait, avec une approche singulière, notre rapport à la mortalité. La saison 2, sortie deux ans plus tard, avait elle décontenancé le public et alors qu’elle avait couté cher à produire. Netflix a décidé d’arrêter les frais en annulant purement et simplement une œuvre qui demeurera incomplète… Brit Marling et Zal Batmanglij constituent un binôme solide puisqu’ils collaborent depuis presque vingt ans sur les réalisations de Batmanglij comme Sound Of My Voice (2011) ou The East (2013) où Marling officie en tant que scénariste et interprète. Les voir revenir à l’œuvre sur une nouvelle série est donc une sacrée promesse. Et cette fois, le duo a décidé d’investir le genre du thriller avec Un Meurtre au bout du monde, en lorgnant de très près sur Agatha Christie : Darby Hart est une hackeuse et une détective amatrice surdouée. Alors qu’elle vient de sortir un livre sur sa dernière enquête, menée avec l’homme qu’elle aimait et qui l’a quittée, elle est invitée par Andy Ronson, un ersatz d’Elon Musk, pour une semaine vers une destination inconnue. C’est en Islande qu’elle retrouve le milliardaire et une dizaine de convive dont Bill, son ex. Après la première soirée où Andy a expliqué vouloir changer le monde grâce à l’intelligence artificielle, Bill est retrouvé mort. Alors que tout indique qu’il s’agit d’un accident par overdose, Darby est persuadée qu’un tueur rode dans les parages.

Vu à travers des bougies allumées sur la table, Clive Owen en costume, souriant s'apprête à lancer un repas dans un salon ; à côté, un homme mains jointes, semble être un garde du corps ; plan issu de la série Un meurtre au bout du monde.

© Disney +

Un postulat qui rappelle donc Ils étaient dix d’Agatha Christie, soit un bon vieux whodunit à l’ancienne. Sauf que rapidement, la construction même de la série fait comprendre au spectateur que d’autres enjeux plus profonds viendront se greffer à l’enquête. Deux temporalités s’emboitent sous nos yeux ; la première, au présent, raconte donc cette affaire dans l’hôtel islandais, et une deuxième, au passé, narre l’enquête de Darby et Bill, lorsqu’ils ont réussi à débusquer un serial killer dans une histoire de cold case. Le risque aurait pu être de rendre une affaire plus passionnante que l’autre ou de faire des flashbacks des effets redondants et agaçants. Mais il n’en est rien. Grâce à une parfaite maitrise de leur scénario, Marling et Batmanglij réussissent à rendre les deux récits harmonieux entre eux et à les faire dialoguer par l’entremise d’un montage parfait. Ainsi, le présent se retrouve nourri du passé et le spectateur est invité à participer à l’enquête et à prendre part à l’émotion. Car oui, le final est bouleversant dans sa façon de nous raconter une simple histoire d’amour. Ces morceaux de bravoure émotionnels, on les retrouvait déjà dans The OA, mais dans Un Meurtre au bout du monde, qui n’a pas la prétention de s’étendre au-delà de ces sept épisodes, ils trouvent leur forme la plus aboutie et désarmante. Alors qu’on ne s’attendait qu’à une enquête de bonne tenue, la mini-série opère un virage qu’on ne voyait pas venir.

Comme d’habitude chez le binôme, le questionnement sur notre rapport au monde fait partie intégrante de leur nouvelle création. S’ils avaient traité de la mort avec The OA, ils abordent ici notre relation ambiguë et forcément destructrice avec l’intelligence artificielle. Le personnage joué par un Clive Owen impeccable et inquiétant, Andy, renvoie à des figures contemporaines auxquelles il est impossible de ne pas penser. Jeff Bezos et Elon Musk, par exemple, traitent régulièrement des progrès technologiques et des possibilités de dépasser nos conditions humaines et terrestres par des projets sélectifs et eugénistes. Ces questions éthiques sont soulevées dans Un Meurtre au bout du monde, non pas sur un ton moraliste, mais en montrant frontalement les limites de ce à quoi on est en train de s’exposer dangereusement si l’on ne prend pas les précautions nécessaires. Évidemment, la série n’invente rien dans le propos en reprenant des motifs déjà à l’œuvre dans 2001, L’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), toutefois en la mêlant habilement à une affaire de meurtre elle a l’élégance de tenter une approche plus frontale et contemporaine que jamais. Chaque convive de cette semaine en Islande évoque d’ailleurs des positionnements idéologiques existants ; le mégalo, l’activiste, l’artiste ou le rebelle. Dans cette mini société provisoire, les échanges illustrent des débats aussi vivaces que réalistes, intelligence artificielle, conquête spatiale, dérèglement climatique, etc. On ne peut guère fermer les yeux et les oreilles devant ce qui est rappelé ici, sans volonté de manifeste ou de convaincre.

Plan de la série Un meurtre au bout du monde sur une groupe de personnes, hommes et femmes, de tout âge, sont en plein hiver, en manteau épais, bonnets, lunettes de soleil.

© Disney +

Aussi étrange que cela puisse paraitre, la mini-série de Disney + ne donne jamais l’impression de trop plein, ce qui aurait pu être le risque à brasser autant de sujets dans un contexte de thriller. Au contraire, elle laisse le temps aux silences, aux élans poétiques de contrebalancer les multiples informations et évènements pour laisser digérer le spectateur et lui laisser la possibilité de s’investir intellectuellement dans l’histoire. C’est toute l’intelligence de l’écriture de Brit Marling et de Zal Batmanglij est de fluidifier deux enquêtes retorses, caractériser une dizaine de personnages en conservant à chacun une part de mystère, et impulser du sentiment sous le vernis trop parfait et froid du thriller technologique et nordique. La mise en scène, tout en élégance et en fulgurances en tous genres – on sursaute autant que l’on essuie ses petites joues – finit de rendre l’ensemble terriblement limpide. On peut citer le casting tout à fait exemplaire mené par Emma Corrin qui impressionne de justesse de A à Z. Et l’enquête dans tout ça ? Le danger majeur d’un tel numéro d’équilibriste serait de rendre l’investigation complètement accessoire et anecdotique, mais dans son parfait jeu de miroir entre quêtes personnelles et intrigue criminelle, Un Meurtre au bout du monde réussit à convaincre jusqu’à son dénouement. Une mini-série quasi parfaite ayant pour seul gros défaut de ne pas ouvrir sur une suite où l’on pourrait à nouveau suivre les aventures de cette nouvelle Lisbeth Salander, beaucoup plus humaine et attachante.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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