Studio Canal fait la lumière sur un des premiers méfaits parlants de Sir Alfred Hitchcock, Meurtre, tourné en 1930 : critique d’une œuvre de jeunesse, imparfaite, mais déjà si représentative des talents d’un maître.
Mourir sur scène
Vous avez déjà entendu parler d’Alfred Hitchcock ? Ce monsieur avec un certain embonpoint, une bouille de bonhomme anglais circonspect, le regard imperturbable, flegmatique face à la mort et la violence même, s’en amusant au débotté… Un des plus grands cinéastes de l’Histoire du cinéma en somme, qui ne paye pas de mine. On peut ne pas être friand, on peut en avoir marre comme on s’agace des classiques, des figures tutélaires dont l’écho plombe par lassitude. « Hitchcock, oui on sait ! », « Les Hitchcock, je les ai déjà tous vus », « Hitchcock ouais, c’est bien mais c’est vieux, on est passé à autre chose depuis » ! Pour votre dévoué serviteur toutefois, la filmographie de Sir Alfred demeure une cathédrale inépuisable dont les pierres sont et seront encore longtemps je crois, source d’une fascination sans point de comparaison. Son œuvre conséquente avec 53 longs-métrages ne se traverse pas sans patience et n’est pas plus parfaite que celle d’un autre : c’est mathématique, plus vous faites de films, plus vous vous exposez à en faire de mauvais. Hitchcock ne saurait échapper à cette règle, d’autant que sa carrière a traversé six décennies de bouleversements majeurs, du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur. Ajoutons à cela son itinéraire personnel de cinéaste, de la Grande-Bretagne où il a connu ses premiers succès publics et artistiques – Les 39 marches (1935), Une femme disparaît (1938)… – jusqu’à l’ogre hollywoodien où il tournera ses chefs-d’œuvre, période faste entamée grâce au producteur David O. Selznick.. C’est en sa période british que Studio Canal nous permet de plonger, proposant en Blu-Ray un Meurtre (1930) méconnu.
Ça commence souvent comme ça, par un cri dans la nuit… Puis les badauds se précipitent, dans la maison d’où semble provenir le hurlement. Sur place, déjà la police, les riverains affamés de sang, le corps d’une femme gisant. Tout près, l’amie avec qui la victime a passé la soirée, sous le choc, amnésique, en coupable idéale embarquée par les policemen sans ménagement. Au tribunal, un peu plus tard, elle est condamnée à mort… Sauf que l’un des jurés, l’acteur dramatique John Meunier, ne s’y résout pas. Il a voté « coupable » après s’être durement laissé influencer mais quelque chose le titille. Sa culpabilité tremble sur ce doute qui ne l’a jamais quitté. Il mène sa propre enquête… Pour son troisième film parlant après près d’une vingtaine de muets Alfred Hitchcock fait dans sa dentelle : le thème du faux coupable qu’il passera toute sa vie à décliner. Ecrit par la propre épouse du réalisateur, Alma Reville d’après un roman intitulé Enter Sir John, Meurtre pâtit hélas d’un problème de rythme, en particulier d’un ventre mou entre les deuxième et troisième tiers du récit ; cadence pas aidée par une intuition trop évidente quant à qui est le vrai meurtrier, une intrigue pas assez prenante, finalement. Suspense assez « out ».
Malgré ce défaut qui empatte tout le métrage avec lui, il faut savoir déguster dans ce travail de jeunesse la force de ce qui fera toute la carrière du cinéaste : les films de Hitchcock sont des films qui pensent. Du cinéma en mouvement ne se rabaissant que rarement à la facilité, travaillant la matière filmique, l’art cinématographique en ce qu’il est art, et toujours en connivence avec le spectateur. Ça se joue au niveau du scénario comme lors de cet interrogatoire dans les loges du théâtre rythmé par les entrées et sorties des comédiens ou lors de la séquence de dialogue avec lui-même de John Meunier, en voix off face à son miroir. Mais ça saute aux yeux dans la mise en scène, entre l’influence de l’expressionnisme allemand et une caméra aussi malicieuse que créative : ce travelling d’ouverture sur tous les badauds qui se penchent à leur fenêtre ; ce plan-séquence volontairement répétitif de dialogue entre deux femmes qui en cessent de passer d’une pièce à l’autre, du Godard en mieux ; la troublante séquence finale de suicide… Certes exempt de la puissance d’autres travaux du maître, Meurtre n’en est pas moins un film-jeu qui le transpire déjà, en 1930.
N’ajoutant aucun bonnii à la galette, Studio Canal fait pour l’édition Blu-Ray le stricte nécessaire, se contentant de retaper le long-métrage de sorte à ce qu’il passe bien en haute définition, sans être d’un éblouissement absolu, certainement ce qu’ils ont pu faire de mieux avec les matériaux disponibles pour un film peu distribué.