Œuvre méconnue du grand public mais qui témoigne des ambitions futures de son réalisateur, Rimini Editions nous proposent de (re)decouvrir le film Bertha Boxcar, second film du réalisateur Martin Scorsese en combo DVD/Blu-Ray.
La Grande Bertha
Si on peut reprocher beaucoup de choses au producteur Roger Corman, force est de constater qu’à la différence de certains producteurs de séries B actuelles (Jason Blum en fait-il partie ? Il y a débat), il a toujours montré un respect immense envers le septième art. Loin du portrait opportuniste qu’on en a souvent fait, on peut voir dans ses productions une volonté de produire du divertissement de qualité avec un minimum de budget. Ceci en s’entourant de véritables artisans tout juste sortis de l’école de cinéma. Ainsi, Corman, avec la grandiloquence qu’on lui connaît aime se targuer d’avoir révélé au grand public des cinéastes comme Francis Ford Coppola, Ron Howard, Joe Dante et dans le cas qui nous intéresse, Martin Scorsese. Bertha Boxcar, librement inspiré des écrits de l’autrice anarchiste Bertha Thomson, le long-métrage était prévu pour être un film de commande, par les thèmes abordés et son approche, il démontra que Martin Scorsese était plus qu’un simple réalisateur de studio, mais bien un grand cinéaste en devenir.
Se déroulant dans l’État de l’ Arkansas pendant la Grande Dépression, Bertha Boxcar suit Bertha Thompson après à la mort de son père. Seule, sans travail ni domicile, elle se déplace d’un coin à l’autre de la région en utilisant les wagons de trains de marchandises (les boxcars) où elle fait la connaissance d’un syndicaliste révolté avec lequel elle va former un couple de pilleurs de train… Si le film présente des similitudes avec Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) sorti cinq ans plus tôt ( les deux se déroulent durant la Grande Dépression et présentent un couple se livrant au banditisme), le travail de Scorsese en est la parfaite antithèse. En effet, là ou le film d’Arthur Penn « glamourisait » le couple de criminels en les dépeignant comme des amoureux juvéniles en quête de sensualité tout en faisant fi du contexte difficile de l’époque, Scorsese choisit de présenter ses personnages comme des victimes de leur milieu que les aléas de la vie poussent à commettre l’irréparable. Par cette approche tragique, Bertha Boxcar lorgne plus du côté du drame social que du film de gangsters. En effet, malgré sa violence, le film cherche avant tout à livrer un message politique et une critique du capitalisme : les protagonistes en s’attaquant à la société des chemins de fer, se prennent à ce qui symbolisent pour eux le délitement de l’Amérique…
L’une des qualités de cet objet, c’est bien le portrait sans fard qu’il dresse de l’Amérique des laissés-pour-compte. Ainsi, loin des Raisons de la colère (John Ford,1941) qui présentait une Amérique wasp victime de la Grande Dépression et dont le final constituait une note d’espoir et témoignait d’une unité de classe dans la souffrance, ici les personnages appartiennent à des minorités (noir, juif, white trash) qui subissent la Grande Dépression comme une double peine et ne voient le banditisme comme la seule porte de sortie ; minorités laissés de côté dans une Amérique que le film n’hésite pas à décrire comme intolérante, comme on le retrouvera plus tard dans le cinéma de Scorsese, par exemple dans Taxi Driver et Gangs of New-York).
On peut toutefois reprocher à Bertha Boxcar une mise en scène hésitante, pouvant certainement se justifier par son budget réduit, et un scénario qui parfois ne sait pas où il veut aller, mais l’impression reste sur une proposition de cinéma viscérale dépeignant sans fard la violence notamment dans un final aussi cynique que brutal qui n’est pas sans rappeler La horde sauvage (Sam Peckinpah, 1969). S’il est considéré par beaucoup de spécialistes comme mineur dans sa filmographie, Bertha Boxcar n’en est pas moins un film qui propose dès ses prémisses les thèmes qui seront chers à Martin Scorsesse. Que ce soit la corruption des élites avec la description des employés des chemins de fer, la foi avec la crucifixion de David, la peur de l’exclusion et la place centrale de la famille (ici le groupe formé autour de Bertha)… Du côté des bonus de ce combo DVD /Blu-Ray, Rimini Editions propose une interview de Alexis Trosset spécialiste du cinéma et coauteur d’un ouvrage consacré à Martin Scorsese qui durant une vingtaine de minutes revient sur le film et son importance dans la filmographie du réalisateur ; ainsi qu’un entretien avec la productrice et compagne de Roger Corman, Julie Corman.