The Gate


Le Chat qui Fume est allé chercher dans les glorieuses eighties l’ancêtre des Stranger Things et consorts : en Blu-Ray édition limitée à 1000 exemplaires sort The Gate (1987) de Tibor Takacs, l’épopée compliquée d’ados contre une libération de forces démoniaques. Critique.

Trois mignons - créatures minuscules horribles et chauves - regardent vers le plafond ; près d'elles, sur le plancher, à leur pied, un livre ouvert qui permet de constater à quel point les mignons sont petits ; plans du film The gate.

                                       © Tous Droits Réservés

Moi, moche et méchant

Les deux amis Glen et Terry dans le jardin, au soleil ; assis près du trou qu'ils ont creusé, ils inspectent la boule-météorite qu'ils prévoient d'enterrer, scène du film The gate.

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On vous a récemment parlé, via le film Mank de David Fincher sorti sur Netfllix, d’un des plus grands films de l’Histoire du cinéma – du moins c’est ce qui se dit , et de son réalisateur, l’immense Orson Welles. Maintenant qu’on a rempli notre part du contrat cinéphile, la portée culturelle étant affichée, on peut passer à quelque chose de peut-être un peu plus modeste : j’ai nommé Tibor Takacs. Bien qu’il porte un nom à faire frémir le Festival du Film Chiant de Cizay-la-Madeleine, où le jury, voyant un nom exotique fleurant bon l’Europe de l’Est, se prépare déjà à la naissance d’un « nouveau Bela Tarr », Takacs, pourtant lui aussi hongrois, n’a pas vraiment fait dans le métrage métaphysique, questionnant l’incommunicabilité, la lourdeur étouffante de l’absurdité de la vie humaine, la perpétuelle présence du vide. Son truc à Takacs – enfant d’immigrés hongrois donc, mais ayant grandi au Canada et dont la culture de cinéma s’est forgée tel qu’il le dit « avec des parents européens qui regardaient beaucoup de films étrangers sous-titrés » – c’est le cinéma de genres, avec un goût particulier pour le fantastique pas forcément le plus délicat à base d’invasions d’animaux cheapos style Rats (2003) et le téléfilm Spiders 3D (2013). Il connut toutefois une certaine période de gloire créative à l’extrême fin des années 1980 lorsqu’il reprend le chemin des studios après un premier effort, Metal Messiah, en 1978, curieux opéra-rock, apparemment si curieux qu’il lui a causé une traversée du désert de presque dix ans qu’il passera majoritairement à faire le chef opérateur pour d’autres. Dès son retour aux affaires en tant que réalisateur, et son troisième film, Takacs remporte un des Graal d’alors pour tout auteur de cinéma de genre : un Grand Prix à l’influent festival d’Avoriaz en 1990 pour Lectures diaboliques. Une consécration que Tibor Takacs n’a peut-être plus jamais su égaler depuis ; mais qui lui a été permise, en réalité, grâce au succès financier de son long-métrage précédent, The Gate (1987) édité en Blu-Ray par Le Chat qui Fume.

1987. Glen, douze ans, est extirpé d’un cauchemar brumeux et angoissant – dans lequel un orage détruit l’arbre soutenant sa chère cabane – par le bruit d’un tractopelle. Il se rend dans le jardin, en cette lumineuse matinée d’été, pour observer le travail des ouvriers qui déracinent l’arbre en question puis, avec la curiosité propre à certains garnements, se dirige vers le cratère… Et y trouve une espèce de géode, qu’il estime, avec son ami Terry, être peut-être une météorite, potentiellement de grande valeur financière – oui la science et l’avenir de l’homme a priori le branchent moyen. Mais en embarquant la trouvaille dans sa chambre, Glen semble avoir libéré des forces maléfiques, ouvert une porte entre deux mondes qui va chambouler tout leur week-end, à lui, Terry, Alexandra sa grande sœur, et toute la petite bande d’adolescents qui étaient censés profiter de l’absence du père de Glen pour s’amuser dans la maison… The Gate se situe clairement dans la lignée des productions des années 80 mettant en vedette des enfants/ados face à des situations extraordinaires, modèle dont Stranger Things s’est fait aujourd’hui à la fois le condensateur et l’héritier. On y retrouve l’ingrédient majeur : confronter des personnalités en construction, immatures, à des enjeux qui les dépassent : dans un ton oscillant entre la comédie et le plus sérieux ; l’insouciance enfantine étant perturbée par les soubresauts de vraies responsabilités, plus grandes, mais point trop grandes pour ces mini-héros qui parviennent à se tirer d’affaire – on ne tue pas les enfants – avec le sourire, comme si de rien n’était. Dans The Gate toutefois, il ne faudra certainement pas trouver la profondeur d’un Spielberg – à la décharge du scénariste, Michael Nankin, expliquant en bonus que la noirceur et la densité de son script ont été largement revues à la baisse pour que le métrage ne soit interdit qu’aux moins de 13 ans – le récit ne développant qu’assez peu ses personnages, malgré un trauma originel par exemple (Glen et Alexandra sont orphelins de mère). Par contre, Takacs surprend très agréablement en livrant un film d’horreur à proprement parler, avec une ambiance remarquable démontant habilement la cartographie de la maison – qui paraît immense pour un Blu-Ray du film The Gate édité par Le chat qui fume.simple pavillon de banlieue – des monstres qui méritent bien leur nom – tels que ces horribles « mignons », gnomes répulsifs – et des débordements graphiques surprenants pour un public de 13 ans (ce visage de mort-vivant qui fond, ce chien mis à mort…). Pousser le film d’ados à la Amblin jusqu’à tenter de faire un véritable film d’horreur pour le public concerné et les adultes, est un pari que The Gate relève sans conteste. Et ce qui fait son attrait aujourd’hui comme lors de sa sortie, où il rencontra un franc succès, avant d’amener une suite en 1990, toujours réalisée par Tibor Takacs.

Le Chat qui Fume nous propose le film dans un magnifique artwork soulignant bien son caractère horrifique/monstrueux, aussi, The Gate est honoré par une édition Blu-Ray à tirage limité, mais aux bonii, eux, non comptés. On trouve de nombreux entretiens très instructifs avec plusieurs membres de l’équipe (réalisateur, scénariste, producteur, VFX…), un making of, une bande annonce, et enfin un petit documentaire sur la genèse du projet, intitulé Made in Canada. L’occasion de singulièrement enrichir l’expérience de vision avec une découverte de cette période où le pays de David Cronenberg était une terre dorée pour les tournages, à grands coups de politique fiscale avantageuse. C’est tout un contexte de production et de création qui nous apparaît alors dans ce récit de tournage, cerise sur le gâteau d’une édition parfaite.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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