Nouvelle série originale de Canal+, Possessions (Shachar Magen et Valérie Zenatti, 2020) offre un suspense fantastique de haut vol au milieu des paysages désertiques israéliens. À ne pas rater !
Coupe-gorge
Diffusée dès le 2 novembre sur Canal+, la mini-série Possessions se présente comme un thriller franco-israélien dont la dimension fantastique se révèle peu à peu au fil de ses six épisodes et de son enquête policière qui fait suite au meurtre d’un jeune marié. Voici la scène : un couple en apparence fou amoureux, un mariage en grande pompe, les lumières s’éteignent au moment de couper le gâteau et quand on les rallume l’homme est à terre, égorgé, baignant dans son sang, pendant que la femme reste bouche bée le couteau dans la main. Immédiatement accusée et incarcérée, la belle Natalie – Nadia Tereszkiewicz récemment vue dans Seules les bêtes (Dominik Moll, 2019) – ne prétend avoir aucun souvenir de la scène. Manipulation ? Les coups et griffures sur son corps laissent penser qu’elle aurait été maltraitée. Vengeance ? La policière Esti (jouée par l’actrice israélienne Noa Koler) tente en vain de rassembler des preuves et d’interroger tous les suspects potentiels tandis que le vice-consul Karim – incarné par Reda Kateb – mène sa propre enquête, déterminé à innocenter Natalie dont il est tombé sous le charme.
Créée et écrite par Shachar Magen et Valérie Zenatti, la série renverse rapidement les codes du thriller traditionnel en menant les protagonistes sur une multitude de fausses pistes qui élargissent le mystère au lieu de l’éclaircir. Si bien qu’aux troisième et quatrième épisodes les spectateurs se trouvent eux aussi complètement largués. Y-a-t-il réellement un coupable ? Le réalisateur Thomas Vincent – qui a déjà fait ses preuves sur les séries Tunnel, Versailles et Bodyguard – plaide le mélange entre Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968) et les westerns à la Sergio Leone. Cette dernière comparaison fait référence aux grands espaces désertiques d’Israël et aux tensions politiques avec la frontière palestinienne, un changement de décor qui est le bienvenu pour se démarquer des thrillers occidentaux à l’ambiance souvent plus citadine et sombre. Les déserts à perte de vue rendent l’atmosphère d’autant plus inquiétante qu’on a l’impression que tout peut y arriver à tout moment et sans aucun témoin. La comparaison avec le film de Polanski peut paraître déroutante pendant les premiers épisodes mais, dès l’épisode 5, elle prend tout son sens : au fur et à mesure que l’enquête se complique et que la paranoïa s’installe, le fantastique s’invite discrètement et renverse la vapeur pour amener l’intrigue là où on ne s’y attendait pas.
Possessions met en exergue le combat entre la rationalité et la spiritualité. Esti la policière et Karim le vice-consul cherchent tous deux des explications terre-à-terre pour justifier le meurtre, pensant un temps que Natalie a sombré dans la folie à cause de sa mère trop protectrice et trop croyante ou peut-être à cause de son père qui l’aurait violée, mais aucun d’entre eux n’émet l’hypothèse du surnaturel, d’une présence supérieure voire démoniaque. Selon la religion juive du pays, on penserait d’ailleurs au dibbouk, un démon déjà aperçu dans The Vigil (Keith Thomas, 2019) ou dans le court-métrage notamment primé au PIFFF 2019 Dibbuk de Dayan D. Oualid. La double culture de Natalie, partagée entre les origines polonaises de son père et les croyances tunisiennes de sa mère, l’enfonce dans une machination où le libre-arbitre n’a plus sa place. Balancée de rituel en rituel, la jeune femme au visage de poupon vit sous l’emprise d’une foi qui la dépasse. Le titre de la série propose donc un jeu de mots ambigu : des parents possessifs et des amants possessifs feraient davantage penser à de la possessivité, mais Natalie serait-elle plutôt possédée par une autre force ? Possessions réussit le pari de tenir son public en haleine jusqu’au bout grâce à un arc narratif évolutif, un rythme qui ne se relâche jamais et une touche de paranormal diaboliquement efficace. Seul bémol : un jeu d’acteurs pas toujours convaincant, la faute à une Nadia Tereszkiewicz arborant la même expression faciale pendant six heures et un Reda Kateb malheureusement un peu trop niais.