La bête tue de sang froid


Quoi de mieux qu’un rape and revenge pour habiter un couvre-feu qui pourra sembler long à certains d’entre nous ? Le Chat qui Fume a pensé à nos âmes esseulées et sort en Blu-Ray un classique de l’exploitation des 70’s, La bête tue de sang-froid (1975) réalisé par Aldo Lado.

L'acteur Enrico Maria Salerno braque son fusil sur sa victime à terre, derrière lui un ciel brumeux et un arbre chétif dans le film La bête tue de sang froid.

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Contes cruels de la jeunesse

Gros plan sur le visage de Macha Méril sous une intense lumière bleue, issu du film La bête tue de sang froid.

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Il y a de cela quelques jours à peine, nous évoquions pour la première fois dans nos lignes la figure d’Aldo Lado via son giallo exporté à Prague Je suis vivant ! (1971). Auteur d’une quinzaine de longs-métrages d’après Wikipedia version italienne – autant dire la source de vérité elle-même – et d’une vingtaine de scénarii dont un pour le nanardement célèbre Enzo G. Castellari, Lado n’est pas tout à fait inconnu dans nos contrées du genre. Le défunt éditeur Neo Publishing, qui tient une place particulière pour ceux de ma génération qui ont pu découvrir le bis rital grâce à eux – les Fulci, les Deodato, les Lenzi et j’en passe – avait en effet sorti Je suis vivant ! dans sa collection Giallo aux jaquettes jaunes (évidemment) qui frappaient nos yeux sur les publicités et étalages de boutiques bien senties. Fidèle à un travail qui est en train de se bâtir en référence sur le cinéma de genre transalpin, Le Chat qui Fume refait la lumière en Blu-Ray sur le cinéaste avec le titre sus-cité donc mais aussi peut-être son travail phare, La bête tue de sang froid, tourné en 1975 – déjà édité en DVD par Neo Publishing d’ailleurs sous l’appellation Le dernier train de la nuit, traduction littérale du titre italien. Si l’on vous a parlé d’Aldo Lado en tant que réalisateur de gialli, ici le contexte est différent. En 75, on est trois ans après 72 (jusque-là tout le monde suit), soit trois ans après le choc La dernière maison sur la gauche de Wes Craven. Uppercut cinématographique propulsant son auteur sur le devant de la scène dès son premier long-métrage officiel (on passe les pornos sous pseudonyme), La dernière maison sur la gauche a, sur un canevas plus ou moins classique de quête vengeresse pour laver l’honneur de donzelles, formaté le sous-genre du rape and revenge au moment où le cinéma d’exploitation libertaire des années 70 n’attendait que ça. Forcément, il y eut alors une ribambelle d’ersatz, dont La bête tue de sang froid fait sans mystère partie.

Europe, milieu des années 70. Lisa et Margaret, deux jeunes femmes pleines de vie vivant en Allemagne, vont passer leurs vacances de Noël chez les parents de la première près de Vérone. Pour ce faire, elles empruntent un train de nuit, dans lequel elles vont hélas faire la rencontre d’un trio de marginaux sadiques… Comme on peut le deviner rien qu’avec ce pitch, la filiation avec La dernière maison sur la gauche est telle qu’on peut presque parler de remake. Les sévices dans le film de Craven se déroulaient dans la nature et sen chemin d’un concert de rock, on a ici un simple déplacement des turpitudes dans un train et sur la route d’une visite de famille ; dans les deux cas, le papa qui se vengera de la mort de sa fille est un docteur et la bande de malfrats compte une femme ; enfin le climax use du même coup de hasard par lequel les parents d’une des victimes hébergent les bourreaux de leur enfant avant de se venger lorsqu’ils comprennent qu’ils sont responsables. La bête tue de sang froid peut clairement se visionner tel une variation du film de Craven, calquant son canevas narratif en traitant un peu autrement certains aspects, surtout Lisa et Margaret.

Assez frontalement sexualisées aussi bien dans leurs attitudes que dans leurs échanges verbaux, Lisa et Margaret masquent leur intériorité juvénile – Lisa est vierge par exemple – par une maturité sexuelle d’apparat que la brutalité des voyous va prendre sadiquement au mot. Les victimes de La dernière maison sur la gauche, elles, avaient une naïveté peace and love, insouciant écho de leur temps : elles ne mettent pas de soutien-gorge comme un enfant se balade nu, n’imaginant pas, dans leur époque de libération de la femme, que quelqu’un quelque part puisse aller à l’encontre de cette atmosphère de liberté, rompre ce fantasme d’une société désexualisée ou du moins désanimalisée. Et c’est justement cette légèreté qui les rend d’autant plus appétissantes aux yeux des prédateurs, qui s’en délectent et peuvent sembler se venger de cette “pureté”… Craven et Lado, tous deux mais différemment, jettent ainsi avec une tragique ironie la personnalité de leurs personnages féminins dans la gueule du loup, non sans un certain cynisme. Au jeu de l’actualité, la vision de La bête tue de sang froid de jeunes demoiselles aux prises avec un rapport à l’autre érotisé mais qui n’est qu’illusion sur leur réalité intime est certainement plus en adéquation avec notre monde contemporain d’objectivation du corps à outrance et de sur-sexualisation de la communication (publicités et réeaux sociaux), quand Wes Blu-Ray du film La bête tue de sang froid de Aldo Lado, édité par Le Chat qui Fume.Craven livrait avant tout un film règlement de compte avec les utopies passées…

C’est dans ces points de comparaison et de divergence avec le Craven que La bête tue de sang froid trouve son intérêt finalement. Cela vaut pour le scénario, mais aussi pour la mise en scène où Aldo Lado livre un travail de réalisateur somme toute assez « neutre », en bon artisan durant 90% du métrage, n’arrivant pas vraiment pour le coup à égaliser la force de frappe poisseuse de Wes, C’est dans les 10% qu’il reste que le cinéaste italien fait de curieux pas de côté, tranchant pour le coup littéralement avec ce que l’on est habitué de voir du rape and revenge des 70’s, de la lumière bleutée surréelle de la scène du train jetant la scène dans une esthétique de cauchemar baroque, à ses plans brefs frôlant l’abstrait et l’expérimentation (la scène de sexe dans les toilettes du train filmée avec une succession de zoom et de changements d’axes, le panoramique silencieux et glaçant sur les dépouilles des jeunes femmes telles des natures mortes dans le paysage). Si tout le film avait composé avec ces moments d’inspiration troublants et trop courts, La bête tue de sang froid aurait pu prétendre à être l’un des produits d’exploitation les plus étonnants qu’il ait été donné de voir… On pourra quoi qu’il en soit tout découvrir de la conception du long-métrage dans les bonii de l’édition Blu-Ray concoctée par Le Chat Qui Fume, comme d’habitude dans une restauration superbe, liant comme nous l’aimons exigence technique et préservation d’un certain « grain » qui nous est cher. Deux entretiens et pas des moindres sont proposés : l’un avec la comédienne Irène Miracle, et l’autre, conséquent (1h17 !) avec Aldo Lado lui-même.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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