Le Nom de La Rose – Saison 1 1


Je pourrais commencer cet article par un petit bloc de latin pour vous mettre dans l’ambiance. Adversus periculum naturalis ratio permittit se defendere, par exemple, et ne rien traduire par fidélité au best-seller de Umberto Eco, Le Nom de la Rose. Vous avez de la chance, nous sommes ici pour parler de la récente série, sortie en cette année 2019 sur OCS notamment, réalisée par Giacomo Battiato et fraîchement éditée en vidéo par Wild Side.

Le cast du Nom de la Rose (critique de la série)

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Te Deum

Adapter du Umberto Eco pour le grand écran, ou celui qui tient dans le salon, relève à mon sens du prodige. Et pourtant, cela a été accompli par deux fois, deux fois pour la même œuvre, à trente trois ans d’écart. Et oui, trente trois, l’âge du Christ, pile poil le genre de coïncidences qui aurait pu nourrir l’intrigue d’un de ses romans sur le conspirationnisme comme le brillant Pendule de Foucault ou Numéro Zéro. C’est fou. Mais ne nous égarons pas. Lorsque Jean-Jacques Annaud parvient à porter le Nom de la Rose au cinéma en 1980, le succès est au rendez-vous. Et pour cause, une histoire pareille, c’était écrit. Trop écrit peut-être, même. Si le film se tient parfaitement, celles et ceux qui auront lu le livre ne manqueront pas de remarquer à quel point celui-ci est encore plus riche, plus fou, plus complet, plus tout. Malgré cela, nous avons eu un Sean Connery absolument magistral dans le rôle de Guillaume de Baskerville, un Christian Slater tout aussi parfait dans le rôle du jeune Adso, qui comme lui débutait sa carrière, un Ron Perlman inoubliable, une abbaye envoûtante, une ambiance et une musique comme nulles autres pareilles, etc. Si vous l’avez vu, vous connaissez les autres superlatifs.  Et déjà que la difficulté d’adapter du Umberto Eco se pose là, s’y frotter après ce monument que fut le travail de Annaud représente un effort qui méritait bien toute notre attention. Et notre sévérité, évidemment.

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Tout d’abord, que se passe-t-il dans le Nom de la Rose ? Et bien plein de choses. Au XIVème siècle, l’Europe est divisée et la Chrétienté subit une période de remous. Le Pape Jean XXII résidant à Avignon se tire la bourre avec Louis IV Empereur du Saint Empire Romain Germanique, tandis que deux écoles s’affrontent, les bénédictins qui s’enrichissent au nom du Christ et les franciscains qui prêchent la pauvreté. Au nom du Christ aussi. Oui c’est compliqué, mais je pense que même à l’époque ce n’était clair pour personne. Ajoutez à cela les fraticelles, des genres de franciscains zadistes qui ont vite été catalogués hérétiques par l’Inquisition – dont l’histoire occupe plus de place dans la série que dans le livre, là où ils étaient simplement inexistants dans l’adaptation de Annaud. Enfin, une abbaye bénédictine au moment de l’action, en 1327, dans laquelle une série de meurtres inquiète les moines alors qu’approche l’heure d’une confrontation entre les représentants du pape et des franciscains pour trancher le fameux débat : le Christ était-il pauvre et quelle serait sa position sur le Brexit ? Guillaume de Baskerville (en référence à la fois à Guillaume d’Occam et à Sherlock Holmes) est un moine franciscain accompagné de Adso de Melk, son jeune apprenti qui est aussi le narrateur de l’histoire, pour mettre à jour le sordide mystère de l’abbaye.

Le livre, comme le film et cette série racontent tout cela en adaptant le récit aux spécificités de leur médium. Le film s’introduisait même comme un palimpseste, un beau geste d’humilité face à l’impossibilité d’adapter un roman aussi complexe en deux heures. Giacomo Battiato, le réalisateur de la série qui nous intéresse, maîtrise le sujet médiéval et a épluché le livre de fond en comble par souci de respect et de fidélité. Aussi, cette série de huit épisodes dispose d’environ quatre fois plus de temps qu’un long-métrage pour raconter la même histoire et ne pas manquer à l’appel sur les sujets les plus importants du livre que sont la raison, le rire, la vérité et le sexe. J’aurais peut-être dû commencer par là. En tout cas avec un tel format, on avait toutes les raisons de croire qu’on tiendrait une nouvelle adaptation au moins aussi valable que le film d’Annaud. Et à ce sujet, les premiers épisodes proposent à la fois de nous rassurer et de nous surprendre, puisqu’ils s’ouvrent sur une scène qui n’existe pas dans le roman et embrayent très vite sur un chapitre qui y figurait mais qui n’avait pas été adapté dans le film. Pour faire très vite, la série nous présente deux modifications secondaires à l’histoire originale tout en en reprenant la quasi intégralité. La fille n’est désormais plus une sauvageonne qui fait sa première apparition lors de “cette scène entre les sacs de farine” et le personnage d’Anna fait son apparition, fille de Fra Dolcino désirant venger ses parents. Ces deux apports distinguent déjà le support série et le support roman, ouf, ça c’est fait, maintenant apportez-moi les hérétiques, les citations latines, les pharaons, Jésus et ses apôtres qui se prennent une cuite. Je ne rigole pas, c’est dans le bouquin.

John Turturro dans la série Le nom de la rose (critique)

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La structure narrative du roman s’était bien prêtée à l’adaptation filmique, elle se prête tout aussi bien au découpage en épisodes, la base “thriller/enquête” restant toujours très prenante, d’autant que Umberto Eco lui-même s’était déjà amusé à en altérer certains poncifs. Deux difficultés se posent néanmoins à qui aura déjà vu le film. La première saute aux yeux, il s’agit du casting d’acteurs et d’actrices qui ne joue pourtant pas la moindre fausse note, mais qui a la lourde tâche de passer derrière Sean Connery, Christian Slater, Ron Perlman, Valentina Vargas, F. Murray Abraham ou Helmut Qualtinger. John Turturro campe un Guillaume de Baskerville plus en retrait, tout aussi sagace mais moins frontal que son prédécesseur, Damian Hardung joue un Adso plus jeune, plus moderne, plus actif aussi, au risque de dérouter. Stefano Fresi dans le rôle du Salvatore polyglotte, difforme et simplet, savait qu’il devait mettre les bouchées doubles pour être à la hauteur, il s’en tire de façon honorable, tout comme Nina Fotaras qui n’avait pas pour fonction d’envoûter dès le premier plan le spectateur et Adso d’une énergie sensuelle comme dans l’histoire initiale, lui permettant plus de liberté d’interprétation. Enfin, outre les autres acteurs vraiment bons, il reste Rupert Everett et Fabrizio Bentivoglio qui parviennent à saisir encore mieux leurs rôles (respectivement l’Inquisiteur Bernardo Gui et Rémigio) que dans le film, leurs personnages étant ici plus denses. Finalement le seul protagoniste qui souffre un peu de la comparaison est celui du Vénérable Jorge incarné ici par James Cosmo qui est pourtant à la hauteur d’un personnage beaucoup moins impressionnant que dans l’adaptation de Jean-Jacques Annaud où Feodor Chaliapin avait le loisir de jouer celui qui paraissait dès le début comme étant l’ombre morbide qui se cachait derrière chaque lumière de l’abbaye. Peut-être que la fameuse joute verbale sur le rire entre Guillaume et le Vénérable Jorge – qui est réduite ici à une inoffensive discussion dans la cour de récré – nous empêche de vraiment le trouver inquiétant. Tout comme son apparence qui fait ici plus propre, en comparaison avec le vieux rabougri aux yeux vides et pourtant perçants présenté dans l’adaptation filmique.

Ces derniers points soulèvent un des aspects les plus lourds à porter pour la série dans sa comparaison face à l’adaptation de Jean-Jacques Anneau, car la seconde chose qui lui fait défaut c’est bien la qualité de la production elle-même. Les studios Cinecittà ont hébergé la majorité des décors de la série, et il faut bien reconnaître le travail de qualité des décorateurs. Néanmoins, de nombreux plans sonnent faux – on pense par exemple à ceux sur les murs de la gigantesque bibliothèque – tant ils transpirent la CGI. Fort heureusement, la qualité de la mise en scène, de l’éclairage et des décors ne s’interpose pas devant l’efficacité du récit et on se dit juste qu’il manque peut-être à cette adaptation sérielle un petit cachet visuel, celui qui permettait au film éclairé par Tonino Delli Colli, d’être reconnaissable au moindre plan. De la même manière, les musiques ne rivalisent pas un instant avec la bande son culte composée par James Horner pour le projet cinéma de 1986, bien que le quota de bandes son épiques, chants grégoriens et autres te deum a cappella soit respecté.

DVD de la série Le nom de la rose éditée par Wild Side (critique)En fait, cette série de très bonne facture a soulevé chez moi des interrogations annexes. Puisque ces deux adaptations relatent parfaitement l’histoire et la plupart des thèmes chers à Umberto Eco dans le roman, comment situer les mediums “films” et “série” par rapport au medium “livre” ? Chacun de ces produits se tient à la fois en lui-même et est une formidable porte d’entrée vers le roman d’origine et éventuellement vers le reste de l’œuvre d’Umberto Eco. Puisque le roman est la version la plus complète et la plus riche de l’histoire, il me semble logique d’en recommander la lecture à qui aura aimé le long-métrage ou la série, en se gardant de sombrer dans l’élitisme qui prétend de façon absolue que le format livre est supérieur au format cinéma. Aussi, pour vous en convaincre, je recommanderai fortement à une personne qui a aimé “Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques” de K. Dick de regarder Blade Runner (Ridley Scott, 1982) mais pas nécessairement l’inverse. Dans le cas qui nous intéresse, ni le film ni la série n’étaient en capacité d’adapter la richesse d’un livre qui ne passe pas que par l’entremise de sa simple narration. Finalement, la seule source de regret sera peut-être le contenu bonus de cette édition DVD fraîchement sortie par Wild Side, qui se résume à un simple making-of donnant la part belle aux acteurs et actrices qui parlent de leur rôle avec trop peu d’informations sur la production, la réalisation, le travail d’adaptation, le commentaire de l’œuvre, etc. Bref, Le Nom de la Rose est une très bonne série, le Nom de la Rose est un excellent film, Le Nom de la Rose est un livre fabuleux, et Au Nom de la Rose, une atroce chanson. Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus, comme qui dirait…


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu


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