Entre greffe de cœur et culte de riches, la nouvelle série Netflix, Chambers (Leah Rachel, 2019), croule sous de trop grandes ambitions et ne parvient que péniblement à garder la tête hors de l’eau. Voici notre chronique avec des spoilers dedans.
Donne-moi ton cœur, baby
Dans le flot incessant des séries de genre originales Netflix, Chambers, sortie fin avril, se présente comme un condensé de tous les thèmes horrifiques et fantastiques déjà existants. Après une crise cardiaque, Sasha, Native américaine de 17 ans, reçoit une greffe de cœur et commence rapidement à souffrir de cauchemars et hallucinations, hantée par sa donneuse, Becky, même âge, les privilèges en plus. En effet, les riches parents blancs de Becky ne tardent pas à prendre Sasha sous leur aile, l’occasion pour la jeune fille de lever le voile sur la mort mystérieuse de sa donneuse. Le thème de la greffe qui tourne mal n’a rien de nouveau, on peut par exemple penser à The Eye (2008) du duo Palud et Moreau. L’idée de possession jusqu’à la perte de contrôle de son propre corps est encore plus rabâchée, notamment dans diverses saisons d’American Horror Story (2011 – en production) ou même dans Get Out (Jordan Peele, 2017). Là où le bât blesse – et attention aux spoilers – c’est quand on tombe dans des délires de culte.
Les parents de Becky sont membres de l’Annex, une soi-disant fondation qui cache en réalité un culte à la démone Lilith, première femme d’Adam selon certaines croyances. Considérée comme impure et trop obsédée par le sexe, Lilith est mise à l’écart en faveur d’Eve. Elle se venge alors en tuant des nouveau-nés, créant ainsi la croyance selon laquelle elle serait maitresse de la fertilité et de la stérilité. L’Annex y croit dur comme fer et n’hésite pas à sacrifier des jeunes filles pour faire revivre Lilith. Ça vous rappelle vaguement quelque chose ? Moi aussi. Après le succès d’Hérédité (Ari Aster, 2018), difficile de ne pas faire le lien entre les rituels sacrificiels d’adolescents. On pourrait aussi parler du culte dans la série The Path (2016-2018), bien moins violent mais tout aussi perché. Au final, à vouloir jouer sur tous les tableaux, Chambers finit par lasser le spectateur, non seulement en raison de cette impression de réchauffé, mais aussi parce que l’intrigue aurait pu être exécutée en sept ou huit épisodes au lieu de dix. Ça s’étire, ça meuble, ça en rajoute des caisses, sans pour autant combler les trous narratifs. La créatrice Leah Rachel – dont c’est l’un des premiers travaux – laisse planer le doute sur une seconde saison qui répondrait donc plus en détail aux questions laissées en suspens. Si Chambers n’a pas fait l’unanimité auprès des critiques, le public semble être quand même suffisamment au rendez-vous pour qu’une nouvelle saison soit validée par la plateforme.
Chambers a néanmoins le très grand mérite de mettre en avant la première actrice d’origine amérindienne dans une série. La jeune Sivan Alyra Rose (au caractère bien trempé sur Twitter) fait sa première apparition et s’en sort haut la main, non sans l’aide d’Uma Thurman (également productrice de la série) et Tony Goldwyn (l’impardonnable ami-traîyre de Patrick Swayze dans Ghost) qui jouent les parents de Becky. Le traitement des Natifs américains continue de faire débat aux États-Unis, pour certains toujours parqués dans des réservations avec accès limité à l’électricité, l’eau potable et de la nourriture décente. Si les personnages non-blancs de Chambers ne vivent pas dans la précarité totale, leur mode de vie tranche néanmoins radicalement avec les riches blancs de Crystal Valley. La fresque à l’effigie des cowboys et des indiens qui trône dans le lycée de la ville rappelle ouvertement le passé impérialiste du pays et reflète la controverse actuelle d’utiliser des symboles appartenant à la culture des Natifs américains tout en leur refusant la reconnaissance et l’accès à des droits basiques. Oui mais voilà, inclure des minorités souvent oubliées dans le monde des séries (ou même du cinéma), c’est super. Les sortir des clichés dans lesquels elles sont déjà enfermées, c’est encore mieux. Entre sa mère droguée et son oncle endetté, Sasha se tourne donc temporairement vers le confort offert par les parents de Becky : bourse scolaire, voiture, vêtements, etc. Ballotée entre deux mondes et deux identités, Sasha perd progressivement pied, et toute logique avec.
Chambers s’apparente donc à un méli-mélo de thèmes fantastiques qui ont bien du mal à s’emboiter pour trouver un semblant de pertinence. La technique visuelle et l’esthétique des épisodes varient d’un réalisateur à l’autre – mention spéciale aux épisodes réalisés par Ti West (V/H/S, 2012) et Alfonso Gomez-Rejon (American Horror Story) – mais créent un ensemble assez cohérent et agréable à regarder sans pour autant vraiment innover. Loin d’être un fiasco total, Chambers mérite un petit coup d’œil, ne serait-ce que pour la performance de ses actrices.