Los Silencios 1


Retour sur la fable surnaturelle de Beatriz Seigner sortie au cinéma début avril en France et qui avait précédemment conquis les spectateurs de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2018.

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Des fantômes pas comme les autres

Second long-métrage de la réalisatrice brésilienne Beatriz Seigner (après Bollywood Dream, première co-production indo-brésilienne en 2009), Los Silencios est cette fois une co-production brésilienne, colombienne et française sur fond de conflit armé et d’apparitions fantomatiques. Une mère de famille, Amparo (jouée par la très touchante Marleyda Soto), et ses deux jeunes enfants Nuria et Fabio, fuient la guerre en Colombie pour trouver refuge sur une petite île d’Amazonie dont le nom en dit déjà long : Isla de la fantasia. Cette île, qui existe réellement, a la particularité de faire cohabiter les vivants et les morts, d’où son nom. La réalisatrice explique ainsi s’être directement inspirée des histoires qu’on lui a racontées sur cette fameuse île. Bref. La mère et ses deux enfants logent chez une tante en attendant de pouvoir émigrer au Brésil après avoir touché l’assurance du mari décédé dans le conflit armé colombien, une situation encore une fois bien réelle pour de nombreux Colombiens qui cherchent refuge dans ce pays en plein essor. Difficile pourtant pour la petite famille de trouver ses marques dans la communauté insulaire : la jeune Nuria reste muette et effacée à l’école, tandis que Fabio ne tarde pas à se faire influencer et manipuler par des adolescents plus vieux que lui. Entre difficultés financières et parentales, Amparo doit tout gérer seule, enfin presque… Le fantôme du mari décédé apparaît régulièrement aux côtés de sa famille, intriguant au premier abord le spectateur avant de finalement donner au film une teinte fantastique. Sur la Isla de la Fantasia, la mort n’est pas une fin en soi, et les « fantômes » des défunts continuent d’évoluer au sein des vivants sans changer d’apparence (on peut pas mettre des zombies partout non plus !).

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En plus de sa dimension politique critique des dégâts humanitaires de la guerre civile mais aussi du capitalisme puisque les habitants de l’île sont menacés d’éviction pour la construction d’un casino le film jette la lumière sur les traditions et croyances indigènes sud-américaines où la mort et le deuil sont perçus de manière à la fois intérieure et collective. Loin de la simple sensation de présence paranormale, les morts sont parfaitement inclus dans la vie de tous les jours, en témoigne cette scène d’assemblée où vivants et morts discutent ensemble de l’avenir incertain du village. Non seulement les défunts prennent part aux activités de la communauté, mais leurs conseils sont considérés comme précieux. Avec un léger plot twist surprenant et émouvant qu’il serait dommage de révéler, Los Silencios délivre une leçon d’acceptation de la mort qui, contrairement au pragmatisme occidental, ne signe pas la fin mais la continuation d’une cohabitation dans cet espace-temps singulier que représente la Isla de la fantasia, à la frontière de trois pays (Colombie, Pérou, Brésil) et où s’entremêlent passé, présent et futur.

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Entre mouvements de caméra limités et musique minimaliste, l’aspect réaliste du film – proche du style documentaire, voire même du cinéma direct – pourrait potentiellement ennuyer ceux qui n’y sont guère habitués, mais les révélations progressives des éléments surnaturels dans la seconde partie auront vite fait de conquérir les plus difficiles. Sans jamais tomber dans l’excès ou l’improbable, la dimension fantastique du film, tout en subtilité, apporte une fraîcheur qui fait plaisir à voir. À moins d’avoir un cœur de pierre ou d’être complètement désintéressé par le contexte et la culture propre à Los Silencios, la scène finale de cérémonie mortuaire aux couleurs fluorescentes ne peut que toucher en plein cœur. Les spectateurs de la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes 2018 ont pour beaucoup fini en larmes, y compris la réalisatrice et son actrice principale, toutes deux présentes pendant la projection et profondément émues de la réception positive de ce film si cher à leur cœur et que je n’hésiterai pas à qualifier de petite pépite de l’édition précédente du plus grand festival du monde. À voir de toute urgence.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.


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