Mutafukaz


Après un accueil enthousiaste au festival d’Annecy 2017 où il était présenté en hors compétition, Mutafukaz a parcouru les festivals avant de sortir sous la bannière du distributeur français Tamasa.

Mutaphore de l’adolescence

Après l’adaptation du très populaire jeu de rôle Dofus, Dofus – Livre 1 : Julith (Anthony Roux et Jean-Jacques Denis, 2015), Ankama s’est joint au studio 4 C – Mind Game (Masaaki Yuasa, 2004), Amer Béton (Michael Arias et Hiroaki Ando, 2006) – pour produire Mutafukaz, son nouveau film d’animation adapté de la bande-dessinée éponyme de Run, nom de plume du français Guillaume Renard. On retrouve à la réalisation Run lui-même et Shôjiro Nishimi, un habitué du studio 4 C. Après un prologue aussi haletant que mystérieux, Mutafukaz s’ouvre sur un accident de scooter d’Angelino, un petit être errant comme il en existe des centaines à Dark Meat City, sordide cité imaginaire californienne. Cet accident, provoqué par la vision d’une mystérieuse inconnue, entraine de violentes migraines chez notre héros, accompagnées d’étranges hallucinations. Angelino devient alors la cible de mystérieux hommes en noir. Avec ses compagnons d’infortune Vinz et Willy, ils réalisent qu’ils sont les seuls témoins d’une possible invasion extraterrestre…

Les décors de Dark Meat City – D.M.C, Dégueu Merdique Crado pour les intimes – nous plongent tout de suite dans une ambiance digne d’Invasion Los Angeles (John Carpenter, 1988), principale référence du film. Les tons orange et marron délavés donnent une teinte mélancolique à l’image, dans une sorte d’univers rétro-futuriste délabré, emprunt de culture urbaine. Dans un style d’animation particulièrement effréné, avec une caméra mouvante qui semble littéralement être portée, le long-métrage déploie un univers violent, regorgeant de clins d’œil à la pop culture, à commencer par les plaques d’immatriculation estampillées « MIB » – vous aurez compris – d’hommes en costard qui pourchassent nos héros.

Le mélange de dessin sur papier et d’animation 3D libère la caméra et lui permet tous les mouvements les plus fous. Mais au-delà du découpage, ce sont les personnages qui semblent être frappés de cette frénésie : les habitants de D.M.C. ont tous des démarches chaloupées, des expressions improbables, des gestes amples et rapides. Cette façon d’animer les personnages est en un sens la marque de fabrique de Shôjiro Nishimi, déjà à l’œuvre sur Mind Game, en tant qu’animateur-clé, et Amer Béton, comme character designer. Autant dire que la qualité de l’animation est au rendez-vous, que ce soit dans la minutie du travail des décors ou la gestuelle drolatique des trois personnages principaux.

Au milieu de cet univers décidément repoussant, Vinz et Angelino restent la principale réussite du film. Réussir à donner vie aux personnages de la BD était une gageure : tous deux de petite taille, Angelino a une tête ronde et noire peu détaillée entièrement remplie par ses immenses yeux, et celle de Vinz n’est qu’une tête de mort sans bouche ! Mais leur démarche fainéante et les voix d’Orelsan et Gringe – parfaits en mecs blasés – rendent les deux héros attachants, comme des adultes piégés dans des corps d’enfants. Eux-mêmes piégés dans un monde adulte. Cette tension est à l’image du long-métrage, comme une sorte de mise en abime : par son aspect exigeant et violent, Mutafukaz ne s’adresse pas aux enfants comme la plupart des films d’animation. Mais il caresse chez le spectateur adulte sa part régressive et enfantine qui peut lui faire aimer une histoire contenant, pêle-mêle : un chef de gang littéraire, une fille à papa sortie d’un shojo manga, de l’electro house flirtant avec la dubstep, des guns fight, des luchadors en quête de renouveau, et même un vaste complot politico-spatial… Une métaphore de l’adolescence en somme, tiraillée entre des aspirations contraires : grandir en adulte ou rester au stade de l’enfance.

Le scénario n’hésite pas à jouer avec tous les codes à sa disposition : tantôt le jeu vidéo pour la course-poursuite en voiture entre Angelino, Vinz et les « hommes en noir » ; la dramatisation excessive de l’intrigue avec ses questions en toutes lettres qui s’affichent sur l’écran, comme pour rappeler au spectateur, perdu devant les images foisonnantes, le fil rouge de l’histoire ; ou bien encore les rêves psychédéliques d’Angelino, qui ne sont pas sans rappeler les séquences folles de Mind Game (Masaaki Yuasa, 2004). Malgré cela, les lecteurs de la BD originelle trouveront – à juste titre – le film pauvre par rapport à l’univers que Run déploie sur près de 600 pages. Mais le long-métrage se voulant indépendant et clos sur lui-même, certains sacrifices étaient nécessaires afin de créer une œuvre d’une durée raisonnable (pour des raisons de coûts de production mais aussi de distribution), accessible et attrayante. À ce titre, on ne peut qu’espérer son succès en salles, afin de faire décoller, une bonne fois pour toutes, le genre « animation pour adultes » en France.


A propos de Baptiste Salvan

Tombé de la Lune une nuit où elle était pleine, Baptiste ne désespère pas de retourner un jour dans son pays. En attendant, il se lance à corps perdu dans la production de films d'animation, avec son diplôme de la Fémis en poche. Nippophile invétéré, il n’adore pas moins "Les Enfants du Paradis", son film de chevet. Ses spécialités sont le cinéma d'animation et les films japonais. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZQHW

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