Sur Fais Pas Genre vous l’aurez bien compris, nous portons un fort intérêt à la production de cinéma de genre(s) en France ainsi qu’à son histoire. Alors pensez-vous, un film fantastique de Jean-Pierre Mocky on n’allait tout de même pas passer à côté. Litan La Cité des Spectres Verts (Les voleurs de visages pour la distribution vidéo), sorti en 1964, a reçu le prix de la critique au festival d’Avoriaz de 1982 : il fallait bien qu’on vous en parle, et sa diffusion au Festival Hallucinations Collectives en est l’occasion rêvée.
Le village préféré des français
Vous aviez tendance à vous plaindre de vos vacances subies chez grand-maman dans les Cévennes ? Globalement vous vous en tirez bien en comparaison avec Nora (Marie-José Nat) et Jock (Jean-Pierre Mocky) qui ne regretteront pas leur petite escapade dans la ville paumée de Litan. Le film commence par un cauchemar, celui de Nora, dans lequel s’enchaînent masques, cérémonies, cercueils, rivières et notamment son mari (Jock, donc) qu’elle s’empresse alors de retrouver après son réveil. C’est le carnaval des morts à Litan (petite ville d’Ardèche, admettez que ça vous plante un décor déjà pas banal) et tout le monde est de sortie pour célébrer les coutumes, mais cela n’intéresse pas Nora qui traverse le village désespérément à la recherche de son mari reconnaissant sur son chemin tous les éléments aperçus dans son rêve morbide. Tout est bien qui finit bien, elle le retrouve, ils s’embrassent sous la pluie… Et le film commence. Un étrange phénomène se produit et quelques habitants se retrouvent possédés par des âmes qui circulent dans l’eau (encore un prétexte pour nous faire acheter ces carafes Brita à la con), la première victime est un scout qui s’était perdu lors du jeu de piste annuel et Jock est alors soupçonné par le commissaire Bolek (Roger Lumont). Dès lors, notre couple n’aura plus qu’un seul objectif, abandonner Litan à son funèbre destin en échappant tant bien que mal aux forces de police à leurs trousses, ainsi qu’aux habitants possédés devenant de plus dangereux. En parallèle, le docteur Julien (Nino Ferrer, eh oui…) étudie sérieusement le cas du jeune scout dans l’espoir de ranimer sa défunte femme : en effet les âmes nageant dans les eaux de Litan semblent pouvoir occuper le corps de leur victime ou le dissoudre…
Litan est intéressant à bien des égards, la première c’est qu’un film fantastique de la part de Jean-Pierre Mocky ne peut que retenir notre attention, bien qu’on retiendra également qu’il n’en était pas à son coup d’essai et que nous vous recommandons de voir La Grande Frousse (1964). Dans cette optique d’ailleurs, la démarche du festival Hallucinations Collectives de faire découvrir ce genre de pépites est à saluer bien bas ! Le film est initialement une proposition soufflée à Jean Pierre Mocky par Jean-Claude Romer, l’un des illustres fondateurs de la revue Midi-Minuit Fantastique qui est une inspiration non négligeable de notre ligne éditoriale. De là à parler de combo gagnant, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas, car sa réception et la place qu’il occupe me préoccupe finalement plus que sa genèse. Litan a obtenu le Prix de la Critique au festival d’Avoriaz en 1982 malgré les moqueries de John Boorman et Brian de Palma qui le trouvaient tous deux “ridicule”, mais le film fut un échec en salles en France et ne rencontra le succès qu’au Japon. Peut-être que cela en dit en réalité davantage sur l’accueil réservé au cinéma fantastique lorsqu’il est français, plutôt que sa propension à produire des films aussi convaincants que ceux qui fleurissaient alors aux Etats-Unis à ce moment-là. Litan traduit peut-être des maladresses sur ses effets spéciaux (notamment l’effet de lumière quand les âmes grignotent le malheureux qui sera tombé dans l’eau) et quelques audaces en termes de jeu d’acteur, mais si on ne s’arrête pas à ce genre de détails, on ne peut qu’être conquis. Jean-Pierre Mocky fait bénéficier son film de tout un dispositif reposant sur le pittoresque ainsi que l’authentique proposé par la petite ville industrielle d’Annonay située en Ardèche. Exit les studios parisiens, place au rural et aux merveilles de la province comme qui dirait. L’étrange et le fantastique surgissent alors naturellement de ces rues tortueuses, de ces coutumes et costumes traditionnels et plus globalement de tout ce décor inédit sur lequel pèse l’intrigue. Évidemment, de savants jeux d’optiques (miroirs et surimpressions) viennent perturber le regard et créer l’ambiguïté au sein des plans, excellent travail de l’habituel chef-opérateur de Jean-Pierre Mocky, le bon vieux Edmond Richard. En définitive, ce que Litan suscite surtout, c’est l’envie de forcer les cinéastes à sortir des studios et de Paris plus généralement pour écrire et mettre en scène ce que la France offre de plus singulier en terme de décors.
Litan vaut largement le coup d’œil et a même bénéficié d’une ressortie en DVD, de prime-abord on pourrait s’arrêter au contenu du film et remarquer finalement que c’est un peu un Ghost in the Shell dans les Cévènes, avec la musique de Nino Ferrer, des effets spéciaux un peu timides et un jeu d’acteur approximatif. Autrement dit, autant de raisons que l’on pourrait avoir de se moquer de notre capacité à réaliser de bons films fantastiques en France… Vous pourrez aussi jouer à reconnaître les sosies de Jean-Baptiste Meunier, François Fillon et Jean-Pierre Coffe, mais je considère que le film montre d’abord la voie que les cinéastes français contemporains gagneraient à suivre : qu’ils s’inspirent et s’approprient les endroits oubliés de France par les productions parisiennes, c’est à dire à peu près tout ce qui se place en dehors du périph’…
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