La vallée du solitaire


Artus Films nous fait découvrir aujourd’hui, dans sa collection western, le pas trop mal branlé La vallée du solitaire, avec John « Papa de Drew » Barrymore et écrit-réalisé par Alan Le May, pas si méconnu que ça parce que le mec a quand même écrit un roman qui tirera un des plus grands westerns de tous les temps (selon ceux qui l’ont vu).

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Home invasion

Parler d’Alan Le May, je sais que ça vous évoque pas grand-chose. C’est pas parce que vous êtes tous des incultes, et que moi j’ai la connaissance absolue, omnisciente, non parce qu’en fait je ne le connaissais pas non plus. L’auteur-réalisateur de La vallée du solitaire, édité par Artus Films dans le cadre d’une collection westerns méconnus de plus en plus fournie, n’est pourtant pas étranger à des cinéastes ou œuvres qui ont bien marqué le septième art. Ce passionné de l’Ouest américain est en effet un romancier- scénariste chevronné dont la plume a servi pour Cecil B. De Mille et de base (pour les romans) à des films tels que Le vent de la plaine ou La prisonnière du désert, soit pour John critique-la-vallee-du-solitaire-le-may6Huston et John Ford, ce qui ravira les vieux amateurs du bon gros cinéma américain. Alan Le May passe derrière la caméra en 1950 pour une petite production de sa propre boîte (Le May-Templeton Pictures), dont il signe aussi le script (évidemment) et qui est un des premiers grands rôles de John Barrymore JR, papa de Drew et fils d’une longue lignée de comédiens.

Le pitch a la simplicité des bonnes séries B : un jeune homme squatte soudainement une demeure paumée dans le désert, indiquant qu’il fuit des bandits, après s’être mis dans la merde jusqu’au coup (un homicide, rien que ça, ça arrive me direz-vous). La famille qui l’accueille le retient en réalité prisonnier afin de tirer au clair la véracité de son histoire qui, pour une juste raison, ne semble pas couler de source : selon ses dires, le jeune homme échapperait à un homme dont la description correspond à un voisin, avec lequel la famille avait une querelle de clôture, qui est mort depuis plus d’une décennie ! Dès lors, moult questionnements et suspicions apparaissent et secouent les liens qui se tissent entre le petit squatteur et chaque membre de la famille. Visuellement, Alan Le May trahit certainement son goût pour la plume : malgré la remasterisation qu’on imagine la meilleure, Artus Films ne parvient pas à faire d’une mise en scène plate, distante (rares sont les gros plans ou ne serait-ce que les rapprochés-épaule !) un bijou de réalisation. La visibilité des scènes de nuit est d’ailleurs même problématique…On ne s’improvise pas réalisateur de western comme ça mine de rien.

L’atout majeur du film, surtout en songeant à son époque de conception (1950, soit avant la vague réellement intéressante des westerns inaugurée grosso modo par des longs-métrages comme Rio Bravo, Le train sifflera trois fois, Brigitte Lahaie VS Mécha-Charles Pasqua…) c’est, et on ne s’en surprendra guère si on a lu le premier paragraphe de ce dit article, le scénario. Le May livre un script pas inoubliable, mais digne d’intérêt à la fois dans l’équilibre de sa construction, dans le dosage de son intrigue (y a du mystère sans que rien ne soit abracadabrant), et la modernité de ses personnages et de ses situations. L’arrivée du jeune homme joué par John Drew Barrymore révèle un conflit ancien de parcelles de terre, jumelant l’intrigue avec ce qui a fait les Etats-Unis : l’appât du gain et le combat, la reconquête des frontières (si ça fait écho à Donald Trump j’y suis pour rien). Le progressisme évident concernant la place des femmes est également un point d’intérêt : d’une scène à l’autre, la place de la femme est revendiquée, entre la séquence où un mari n’ose pas fesser son épouse (si, si) et surtout une autre, forte, où  à lacritique-la-vallee-du-solitaire-le-may12 question de ce même mari « Tu es de mon côté ou du sien ? » ; cette même épouse répond « Je suis du mien », sans que cela n’induise une quelconque punition de la part des hommes. Dans ce western, les femmes sont bel et bien les égales des hommes, et les hommes n’y voient aucun inconvénient.

Pour Fais pas Genre, on retiendra enfin la touche fantastique qui plane sur La vallée du solitaire, de par la teneur même de son intrigue : le jeune homme est persuadé de voir quelqu’un qui est soit-disant mort pour le reste du monde, ce qui implique plusieurs scènes dignes d’un slasher, où il voit une silhouette l’épiant, puis qui disparaît, et le fait passer pour un con lorsqu’il dit « Mais il était là, vous l’avez vu ? ». Il est très étonnant et enrichissant de voir une telle dynamique de scène dans un western de cet acabit ! Intéressant, cet aspect n’est néanmoins pas abordé par la présentation bonus plutôt désinvolte (mais très complète) du scénariste de bandes dessinées Georges Ramaïoli qui, en une vingtaine de minutes, dresse un large panorama de la vie des protagonistes du long-métrage, avec l’accent bien entendu sur Alan Le May. Parmi les autres bonii, Artus Films propose un diaporama d’affiches, et des bandes-annonces. Ça suffit amplement pour une bonne petite découverte.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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