Polar urbain dopé aux amphétamines, Blue Jean Cop met en scène un duo de justiciers qui partent en chasse contre des ripoux dans la pure tradition du buddy movie. Entre dialogues déjantés et réalisation énergique, bienvenue dans la jungle urbaine de New York, territoire hostile et cauchemardesque.
Bad Cops
Si le terme de buddy movie ouvre instantanément à l’esprit un boulevard de films qui a su donner au genre ses lettres de noblesse, celui-ci renvoie également à un grand nombre de séries B dont la plupart sont aujourd’hui tombées dans l’oubli, faute d’une sortie en vidéo. En sortant Blue Jean Cop en DVD et Blu-ray à l’occasion de la réédition de classiques du temps de la VHS, Carlotta Films comble cette lacune et offre aux spectateurs les plus nostalgiques le plaisir de (re)découvrir cette œuvre qui n’a décidément rien à envier à ses grandes sœurs (L’arme fatale et Tango & Cash pour ne citer que les plus connues). Le film s’ancre dans le genre du buddy movie par son concept (un duo de héros dissemblable), son ton (un humour corrosif et pince-sans-rire) et son esthétique générale (un réalisme urbain).
S’adressant à un public que l’on imagine être majoritairement masculin (et ce ne sont pas les différents nus féminins du film qui nous donneront tort), le buddy movie opère une mise à distance de son sujet, notamment grâce à l’humour qui y est injecté à haute dose. Respectant parfaitement son cahier des charges, Blue Jean Cop met en scène deux héros on ne peut plus différents : Roland Dalton est un avocat spécialisé dans les affaires criminelles et Richie Marks est un flic solitaire aux méthodes expéditives. L’écart est volontairement creusé entre les deux hommes (différence de niveau social, de langage et de rapport aux femmes) afin de faire de leur relation un objet de tension narrative permanente. Évidemment, les scénaristes ont mis en place un dénominateur commun à nos deux héros : une haine contre l’injustice. Dalton et Marks vont être contraints de s’associer pour tenter de démanteler un réseau de flics corrompus, achetés par la mafia locale.
Dans ce film comme dans beaucoup d’autres des années 80, la menace ne provient plus de l’extérieur, mais de l’intérieur : le ver est dans le fruit et menace de contaminer tous les autres. Dans un monde où la frontière qui sépare le bien du mal n’est plus clairement délimitée, la figure du policier, jadis synonyme de sûreté et de solidité, est plus que jamais sur la ligne de démarcation. De manière semblable à Maniac Cop (William Lustig, 1988) qui représente le policier comme un monstre assoiffé de sang, le film de James Glickenhaus renverse les certitudes et fait du policier une figure ambiguë, symptomatique d’un monde qui semble être au bord du chaos. Au fantastique horrifique du film de Lustig, Glickenhauss oppose un réalisme crasseux, nourri de véritables affaires de corruption qui ont fait les choux gras du New York des années 80. Nos deux héros ne sont évidemment pas exempts de tout défaut : le film double son thème du buddy movie par celui du vigilante movie, dans lequel la justice se fait indépendamment de toute institution officielle. Le dirty cop incarné par un Sam Elliott à la moustache plus fournie que jamais (il est connu pour avoir incarné le cow-boy narrateur de The big lebowsky des Frères Coen) en est la plus saillante représentation. C’est bien là l’un des points forts de ce film qui ne se contente pas de rester cloisonné dans le genre du buddy movie (les deux héros finissent par se séparer, occasionnant un montage alterné qui œuvre pour beaucoup dans le dynamisme du film), mais qui finit par lorgner du côté d’autres styles et d’autres genres filmiques. Le film d’action laisse place à un film de procès, tandis que l’esthétique générale du New York urbain plonge parfois les scènes dans un climat fantastique. En explorant les bas-fonds de New York, nos deux héros rencontrent une faune tout droit sortie d’un conte macabre. Entre une virée surréaliste dans un night-club futuriste et un homme de main invincible aux allures de Robocop (Paul Verhoeven, 1987) le réalisateur semble s’être amusé à puiser dans différents genres pour émailler son récit. Ce goût prononcé pour les références se retrouve également dans les nombreuses affiches de films devant lesquelles passent nos héros, qui constituent souvent des clins d’œil métaphoriques de la situation qu’ils traversent – citons l’exemple de l’affiche de Hidden de Jack Sholder qui renvoie là aussi explicitement à la problématique du pourrissement par l’intérieur.
Très bonne surprise, Blue Jean Cop se démarque des autres productions de la même époque grâce à une excellente construction narrative portée par deux acteurs principaux au charisme fort. Le réalisateur ne semble pas prendre son sujet au sérieux sans pour autant se montrer désinvolte avec son traitement filmique : l’humour n’est là que pour mieux désamorcer des situations déjà maintes fois représentées au cinéma. Si l’on salue l’initiative de sortir le film dans un master de si bonne qualité, on peut toutefois regretter l’absence de suppléments dignes de ce nom qui auraient permis d’en savoir un peu plus sur l’histoire de ce film oublié. En dépit de son marquage par le poids des années (ah, ces nuques longues…) Blue Jean Cop est un polar d’une très bonne facture, qui se regarde sans déplaisir.
Pingback: Maniac Cop | Fais pas genre !