A l’heure où les esprits s’échauffent autour de The Revenant (Alejandro Gonzales Inarritu, 2016) il est peut-être de bon ton de revoir Le Convoi Sauvage (1971, Richard C. Sarafian). Profitant de la sortie en salles du film événement avec Leonardo DiCaprio, Wild Side propose une piqûre de rappel en ressortant en vidéo ce film injustement oublié.
The Messiah
Qu’on se le dise d’emblée, bien que Alejandro Gonzales Inarritu et ses habiles producteurs n’en aient jamais fait mention, The Revenant (2016) est bien un remake déguisé de ce western âpre des années soixante dix qu’est Le Convoi Sauvage (Man in the Wilderness, 1971) de Richard C. Sarafian. Tous deux basés sur la vie du trappeur Hugh Glass, le film raconte donc exactement la même histoire que celle que vous avez vu avec Leonardo DiCaprio, à savoir, celle d’un trappeur expert, encadrant l’expédition de trafic de peaux du capitaine Henry (interprété ici par le cinéaste John Huston, excusez du peu), qui est attaqué par un ours et laissé pour mort par ses camarades. Réalisateur de westerns de seconde zone, Richard C. Sarafian est surtout connu pour avoir réalisé le cultissime Point Limite Zero (1971) mais a été depuis réhabilité comme l’un de ces metteurs en scène qui ont su réinventer le western américain, entre les années 60 et 70, à une période où le genre se faisait damner le pion par le western spaghetti venu d’Italie. Avec deux films, réalisés coup sur coup, ce Convoi Sauvage (1971) et juste derrière Le Fantôme de Cat Dancing (1973) le réalisateur a su réinventer les codes d’un western américain sur le déclin, surfant pour le premier sur la mode de l’époque des films de trappeurs ou mountain men movie dont le Jeremiah Johnson de Sydney Pollack (1972) est sans nul doute le plus illustre représentant.
Mais alors, qu’est-ce qui fait de ce film des années soixante-dix, une version tout aussi honorable – voir plus – que le blockbuster de Inarritu ? Il est tentant de jouer au jeu des différences, j’espère aussi que vous ne m’en voudrez pas d’aller tête baissée vers la facilité. Au regard des deux films, ce que l’on peut facilement constater c’est que là où la version de 2016 pêche – sa longueur, sa contemplation bouffie, son spectaculaire surabondant, son mysticisme mal employé – le film de 1971 va au plus simple. Aussi, ici, pas de séquence inaugurale de bataille éprouvante en plan-séquence avec des Indiens dans la boue – elle viendra, mais à la fin – l’histoire en vient très vite au fait, avec l’attaque de l’ours, traitée tout aussi brutalement – mais avec un vrai ours cette fois, le numérique n’étant à l’époque encore qu’un petit spermatozoïde dans les testicules de George Lucas. Néanmoins on s’étonne de constater que le film de Inarritu pille à peu prêt toute la structure, les obsessions du métrage original et même certaines idées de mise-en-scène. Ainsi, la même séquence de chasse au cerf ouvre les deux films, les montages parallèles entre séquence de survie et visions hallucinées de la femme du survivant (qui n’est pas Indienne toutefois) sont là, l’intrigue autour de l’abandon feint de l’agonisant par deux hommes chargés de l’adjoindre jusqu’au trépas et de lui faire une sépulture, sont là aussi, avec la même excuse d’une attaque indienne imminente pour le laisser crever… Même le filmage pourtant si particulier de Lubezki semble avoir trouvé une partie de son inspiration dans le film de Sarafian. En témoigne l’image accolée à la droite de ce texte, où l’on retrouve le même type de plan que dans The Revenant, caméra proche du visage ou filmant les reflets dans l’eau avec contemplation. Je ne vais pas continuer mon énumération trop longtemps, je crois que vous avez compris l’idée.
Chacun se fera donc son avis sur qui de Sarafian ou de l’oscarisé Inarritu a le mieux su sublimer ce destin insolite, ce survival âpre, western crépusculaire et revenge movie. Plus condensé – seulement 1h44 contre 2h36 pour la version récente – le film de Sarafian est certes moins spectaculaire, la mise en scène étant moins démonstrative de ce point de vue là, mais n’est pas pour autant avare dans ce qu’il propose des codes du western – les scènes de batailles avec les Indiens sont moins longues et moins violentes, mais tout aussi saisissantes – tout en réussissant à être même plus clair sur son propos, peut être parce que son mysticisme est peut être lui aussi plus clair et moins bêtement boursouflé d’intentions mal gaulées. Plus lyrique, moins furieux que The Revenant, le film raconte d’avantage comment l’homme s’accommode de la nature pour survivre, plutôt que comment il doit se battre contre elle et ses conditions climatiques difficiles. A ce titre, plutôt que de ressembler à une version de Gravity (Alfonso Cuaron, 2013) dont l’action serait projetée dans les montagnes américaines en 1820, Le Convoi Sauvage s’accroche plus à un récit de survie épuré qui rappelle d’avantage Seul au Monde (Robert Zemeckis, 2000), ne serait-ce que par la performance de Richard Harris, qui donne au personnage de Hugh Glass une interprétation plus émotionnelle que physique. Même si les personnages principaux des deux films sont mus par le même désir de vengeance, le Hugh Glass de Richard Harris est aussi moins grognant, moins brutal, plus messianique, peut-être parce qu’il semble s’accommoder à sa condition avec un naturel déconcertant. Sa faculté à s’émouvoir de la beauté de la nature, d’une femme Indienne accouchant à même le sol de la forêt – l’une des séquences les plus magnifiques de ce film étant absente de son simili-remake – où à s’enticher d’amitié pour un lapin – on pense très fort au ballon Wilson du film précédemment nommé – font de lui un personnage beaucoup plus intriguant et touchant, car moins primaire que mystique. La preuve en est, si dans The Revenant le but principal du personnage est de se venger de la mort de son fils, le héros ici, à la toute fin du film se détourne d’un combat à mort qu’il pourrait livrer avec l’homme responsable de son abandon, car il a un fils qui l’attend. Cette fin, magnifique et lyrique, bouleverse, surplombant largement la morale justicière déroutante du film d’Inarritu.
Après une édition de prestige sortie en 2011 et réunissant Le Convoi Sauvage et Le Fantôme de Cat Dancing dans un bel écrin contenant aussi un livre de quatre-vingt pages revenant sur la genèse de ces deux films L’Âme de L’Ouest – un coffret toujours disponible chez Wild Side – l’éditeur profite de la lumière penchée actuellement sur l’histoire de ce trappeur avec la sortie de The Revenant pour ressortir Le Convoi Sauvage indépendamment de son coffret. Présenté dans une édition honorable, dans un master à l’image et au son parfaitement restaurés, cette édition DVD arrive à point nommé pour redécouvrir ce chef-d’oeuvre du western injustement pillé par le plus mexicain des réalisateurs d’Hollywood. Pour parachever le tout, l’édition s’accompagne d’un entretien de treize minutes avec le réalisateur Richard C. Sarafian mené par Jean-Baptiste Thoret et la bande-annonce d’époque. De maigres bonus, mais l’interview est enrichissante et le film est vraiment immanquable.
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