Le cinéma de genre japonais regorge de véritables perles, encore faut-il les débusquer ! House (Housu en japonais, 1977) est l’une d’entre elles, rencontre entre l’expérimental et un psychédélisme comme il n’en a jamais été vu. Plus qu’un simple film d’horreur, Housu est une expérience à vivre et revivre jusqu’à en être épuisé.
Viens, à la maison…
House fut sans doute l’une des expériences cinématographiques les plus intenses auxquelles j’ai pu assister. Psychédélique, bizarre, dérangé, drôle, beau, horrible… Il y a beaucoup de manières de percevoir ce film si particulier, qui fait partie de cette catégorie du soit ça passe, soit ça casse. S’inscrivant dans la lignée des films de genre japonais des 70’s, House (prononcez haousou pour un parfait japonais) aurait pourtant pu prendre un tout autre aspect. Son réalisateur, Nobuhiko Obayashi, est un grand homme connu des amateurs de genre, dont le premier long-métrage, Confession (1968), eut un succès mitigé bien qu’il soit aujourd’hui enfin reconnu. Il réalisa également une quantité phénoménale de publicités, période durant laquelle il dirigea entre autre Catherine Deneuve et Kirk Douglas. En 1976, Steven Spielberg et ses Dents de la mer explosent le box office mondial, les studios japonais Toho demandent alors à Obayashi de développer un projet similaire. Deux ans plus tard c’est House qui voit le jour, non sans mal. La singularité du film : l’histoire et une majeure partie du scénario ont été écrites par la fille du réalisateur, alors âgée de sept ans. Un détail qui peut paraître anodin mais aidant à comprendre la majorité du film en lui-même, où l’on ressent la vision très enfantine d’un monde d’adultes, et donc d’horreurs.
Le pitch en lui-même est plutôt basique, proche de ceux des films d’horreur très médiocres d’aujourd’hui. On retrouve une collégienne, Angel, n’acceptant pas que son père, compositeur dans le milieu du cinéma, se marie de nouveau après le décès de sa mère. Elle décide alors de partir à la campagne avec six copines de classe dans la demeure d’une tante perdue de vue. Les vingt premières minutes du film présentent un univers très japonais et 70’s, des musiques aux personnages, qui peuvent paraître pour certains insupportables, mais nécessaires au développement narratif. On y découvre les filles, toutes portant des prénoms en rapport avec leur personnalité, à savoir Angel, Fanta (pour fantasy), Mac (pour stomac), Melodi, Kung Fu, Sweet et Prof. Les caractéristiques des personnages sont un peu trop assumées, ainsi vous verrez durant tout le film des petites japonaises s’égayant sur leurs centres d’intérêt respectifs. Les actrices jouent à fond leur rôle, toutes d’illustres inconnues à l’époque piochées dans les pubs réalisées par Obayashi. Les gags s’enchaînent sur un fond de pop culture nippone dans un univers coloré à l’image des clips des Beatles, jusqu’au départ des filles qui marque le début de l’intrigue et des exercices de style d’Obayashi. Durant le trajet pour se rendre dans la maison, l’histoire de la tante est narrée à travers une séquence muette en noir et blanc avec cartons, filmée avec un filtre sépia. Un récit simple, presque intimiste, dans lequel on voit même apparaître l’une des filles pour réagir, donnant un aspect totalement interactif à la scène. Après une rencontre avec un étrange vendeur de pastèques, toutes arrivent dans la maison de la tante, où dans une atmosphère sombre, mystique et presque effrayante, les filles se font dévorer par la maison une à une, malgré leurs bonnes humeurs et volontés. On assiste alors à des séquences plus surréalistes les unes que les autres, entre attaque de têtes volantes, piano dévoreur de doigts (on y a tous pensé au moins une fois en refermant le clapet), ou chat psychopathe cracheur de sang. On pourrait presque résumer House comme la rencontre entre Suspiria (Dario Argento, 1977) pour les lumières, l’ambiance et certaines scènes d’une grande beauté, et Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1987) pour ce côté délirant et absurde, mais si bien pensé et mis en scène.
La principale particularité du film est l’ensemble des procédés cinématographiques utilisés pour faire de lui une véritable expérience visuelle. Obayashi n’hésite pas à user d’animations diverses pour davantage faire ressentir une sensation de malaise lors de chaque mort ou événement surnaturel. L’animation devient alors le symbolique de l’étrange, signale chaque anormalité, des objets aux êtres vivants. Le réalisateur précise que les effets spéciaux et autres animations ont été créés de sorte à ce qu’ils ressemblent à la création d’un enfant, irréalistes. La diabolisation de la maison se résume principalement à un mystérieux chat blanc omniprésent, devenu avec le temps le symbole du film. L’intrigue se centre principalement autour de deux personnages, à savoir Angel, représentée comme une jeune fille d’une grande beauté et intelligente, et de sa meilleure amie Fanta, seule fille du groupe à se rendre compte de l’anormalité des événements. La maison viendra confronter ces personnages si simples à leurs plus grandes peurs, révélant finalement toute leur originalité malgré leurs identités stéréotypées. Angel devient vite possédée lors d’une magnifique scène où elle se regarde tomber en morceau dans un miroir ensanglanté, pour ne devenir qu’une sorte d’entité de feu à travers une animation fluide et presque envoûtante. Les plus belles séquences du film lui sont réservées, adolescente torturée pleine de doutes lors d’une scène de nu, qui grâce à la maison hantée arrive à trouver un certain équilibre, et va entraîner ses amies dans sa chute et l’univers de la demeure. Trois rôles sont tenus par des adultes, entre autres celui de la belle-mère d’Angel qui décide de la rejoindre dans la maison pour tenter une communication avec elle, et du professeur du groupe de filles, invité à les rejoindre. Ces deux personnages sont très secondaires, le professeur participant aux péripéties extérieures les plus loufoques et japonaises possibles. Tous deux n’arriveront cependant qu’à la fin du film, n’étant pas d’un très grand intérêt pour la narration, selon moi seule tare d’House. La tante reste le personnage le plus abouti et intéressant, entre adorable hôtesse et ogresse cannibale, incarnée avec brio par Yoko Minamida. Composée par Asei Kobayashi et Mikki Yoshino, la bande son vient merveilleusement compléter cet univers à moitié délirant, le thème principal du film étant très souvent repris pour diverses séquences différentes, s’adaptant parfaitement à chaque situation, de la plus drôle à la plus horrifique.
House a su traverser les années pour parvenir jusqu’aux États-Unis en 2009 seulement. À sa sortie, le film connut un très important succès commercial, mais les critiques furent pour la plupart négatives. Il est aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma de genre nippon, souvent comparé à des films hybrides tels que The Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975) ou Whispering Corridors (1998) du coréen Park Ki-hyung. Quelques réalisateurs avouèrent avoir été influencés par ce film, Sam Raimi pour ses Evil Dead, Peter Jackson pour ses Créatures célestes (1994). House restera toujours un ovni, un film inclassable aux allures de délire psychédélique horrifique. Un géant discret dans le cinéma de genre japonais à découvrir ou redécouvrir, pour jouir d’une expérience sensorielle hors du commun.