La valse des pantins


Le 14 mai dernier, Carlotta a ressorti en Blu-Ray une grande œuvre, sinon oubliée, trop méconnue, du grand Martin Scorsese, et que l’on vous faisait gagner ici-même : La valse des pantins. Premier rôle dramatique pour le roi du rire Jerry Lewis alors que celui-ci était âgé de 56 ans, le film est, à l’image de son récent Loup de Wall Street, un indéfinissable mélange entre drame et comédie, porté par un Robert De Niro en pleine forme.

kingofcomedy

Un Roi à New York

Dans la longue et foisonnante filmographie de Martin Scorsese, La valse des pantins (1983) est trop souvent oublié, injustement d’ailleurs, comme tout ce qu’il fit au long des années 1980. Comme si, entre Raging Bull (1980) et Les affranchis (1990) – certains, plus sensibles, malins ou pointilleux que d’autres rappelleront tout de même La dernière tentation du Christ (1988) –, le plus grand des petits (1m63) s’était mis en standby. Heureusement, le film bénéficia d’une seconde vie grâce à la télévision et à la vidéo, et même d’une troisième vie aujourd’hui grâce à Carlotta qui a ressorti le film chez nous, dans les salles et dans une kingofcomedy2superbe édition Blu-Ray et double DVD.

Son titre original, The King of Comedy, fut l’un des surnoms donnés, en son temps, à Jerry Lewis, l’un des deux protagonistes du film, mais Scorsese berne tout le monde en lui donnant un rôle dramatique, odieux même, sous certains aspects : il est Jerry Langford, un avatar de lui-même, comique et animateur d’un show télévisé aimé et adulé par tout le monde. Robert De Niro, lui, est Rupert Pupkin, un personnage un peu particulier, sorte de grand enfant obnubilé par le star-system, qui collectionne les autographes et qui possède chez lui une reproduction en carton et en taille réelle de Liza Minnelli et… de Jerry Langford. Parce que Rupert est fan de Jerry, c’est d’ailleurs lui qui lui a donné envie de se lancer dans le stand-up ; son numéro est répété, parfaitement au point, et il ne manque plus qu’une chose : un public. Un vrai public, celui qui se compte en millions, celui du Jerry Langford Show. Mais la réticence de Jerry vis-à-vis de Rupert va pousser ce dernier à le harceler, et à se demander jusqu’où pourrait-il aller pour être le roi d’une nuit, dans une émission télévisée qui changerait son statut du jour au lendemain ?

Martin Scorsese réalise La valse des pantins à un moment charnière : le scénario, acheté et remanié par Scorsese juste après que kingofcomedy3De Niro ait refusé d’incarner Jésus dans La dernière tentation du Christ (qu’il fera finalement sept ans plus tard), semblait étrangement être d’actualité dès le mois de mars 1981, moins de trois mois avant le premier clap du tournage, lorsque John Warnock Hinckley Jr. vida un chargeur de revolver sur le président Reagan afin d’impressionner l’actrice de Taxi Driver Jodie Foster. Une coïncidence qui donna alors encore plus de sens au film, qui fut projeté en ouverture (et en compétition pour la Palme) du Festival de Cannes 1983 : La valse des pantins raconte, finalement, l’histoire de gens comme tout le monde dans une société anormale. Mais malheureusement trop réelle. Au final, il ne s’éloigne pas tant que ça de Taxi Driver, mais au lieu de mettre en scène le trauma post-Vietnam ou, plus largement (et pour les non-partisans de la théorie du Vietnam dans le film), la folie et l’obsession liées au morbide, c’est l’obsession du star-system, l’aliénation d’une société par le besoin d’être reconnu et célébré, que Scorsese aborde ici, sur un ton qu’il emploie alors pour la première fois : la comédie noire.

Il est intéressant de noter que c’est à partir de ce film que l’humour va s’inviter de plus en plus, sous différentes formes, dans le cinéma de Scorsese. « Marrant comment ? Qu’est-ce que j’ai de si poilant ? », disait Joe Pesci dans Les affranchis : Scorsese, c’est exactement ça : il est drôle sans l’être, il amuse dans sa façon de faire, de raconter, de montrer. De nombreux fans, critiques et kingofcomedy4professionnels refusent d’ailleurs de considérer le film comme une comédie, ce qui n’est pourtant vrai qu’à moitié, car le film EST drôle en mettant l’accent sur l’absurdité des situations de la vraie vie : impossible de ne pas esquisser au moins un sourire lorsque Rupert, enfermé dans son monde, s’imagine en train de dîner avec Jerry, étant interrompu à plusieurs reprises dans son rêve par sa mère (que l’on ne voit jamais, mais il s’agit bien sûr de Catherine Scorsese) qui lui demande de faire un peu moins de bruit. Impossible de ne pas rire non plus lorsque Rupert, humilié par Jerry après qu’il se soit invité avec sa petite amie dans la maison de campagne de l’animateur, s’excuse en lui disant qu’il a fait une erreur, ce à quoi Jerry répond, presque en aboyant : « Hitler aussi ! », avant de le jeter dehors. Deux exemples qui démontrent parfaitement la prise de position du cinéaste : ce sont ces situations toujours très graves, amères, que Scorsese s’amuse à montrer en choisissant d’en appuyer le côté grotesque. La valse des pantins n’est certes pas une comédie au sens strict et classique du terme, mais s’amuse à déjouer les codes de ce genre pour raconter autre chose de plus important, de plus grave, en misant beaucoup sur les prestations extraordinaires de Robert De Niro en pauvre diable un peu fou, un peu bête, souvent ridicule mais toujours très attachant (incontestablement dans le top 3 de ses meilleurs personnages), et de Jerry Lewis en une version un peu exagérée de lui-même, aimé par tout le monde et toujours très drôle en public, mais qui se révèle être tout l’inverse lorsque les caméras et les projecteurs sont éteints. Lewis a lui-même avoué avoir dû faire face à ce type de situation, ce qui fut un atout indiscutable dans la composition de son rôle.

Grand amoureux de cette œuvre de Scorsese, votre serviteur possédait déjà depuis quelques années la première édition française du DVD, sortie en 2004 chez 20th Century Fox, avec une image correcte et un son stéréo sur les trois pistes audio présentes. Le minimum garanti donc, côté technique, et quelques bonus bien sentis (un making of et deux des scènes coupées au montage final) ont fait passer le tout pour un produit de bonne facture, mais sans plus, avec toujours quelques réserves. Chez Carlotta, le travail est d’une tout autre envergure, puisqu’ils profitent de la remasterisation en 4K (pour sa ressortie en salles) pour nous balancer ça sur une galette du feu de Dieu : deux pistes audio (en anglais et français) qui surprennent par leur qualité car il s’agit quand même… d’un son mono. On y trouve donc à la fois les défauts du mono et les qualités de la restauration du son, le principal point faible étant le manque d’ampleur dans les bruits de fond – cela vaut aussi bien pour les bruitages que pour la musique. Niveau image, rien à redire, si ce n’est qu’elle semble un peu plus sombre que sur l’autre copie sortie chez la Fox il y a dix ans. Enfin, les deux heures de bonus sont un vrai régal : huit scènes coupées pour un total de 38 minutes – dont une, excellente, avec Liza Minnelli elle-même sur le plateau du Jerry Langford Show –, un making of datant de 2002 intitulé A Shot at the Top, qui était celui qui figurait sur le DVD de 2004 – à l’origine, un commentaire audio de Scorsese était prévu sur cette édition, mais le DVD fut réalisé alors qu’il travaillait sur Gangs of New York (2002), et le commentaire fut remplacé par ce documentaire –, une intervention passionnante de Thelma Schoonmaker pendant quarante minutes sur le personnage de Rupert Pupkin et sur le travail d’improvisation dans ce film en particulier ainsi que, plus généralement, dans le cinéma de Scorsese, et enfin, la conversation, aussi intéressante que détendue et amusante entre Scorsese, De Niro et Jerry Lewis lors de la présentation de la version restaurée du film au Tribeca Film Festival en 2013. Autant de bonnes raisons de découvrir ou de redécouvrir ce coup de génie signé Martin Scorsese.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

trois × quatre =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.