La planète des tempêtes


Camarades, le temps est venu de vous parler d’un film majeur du cinéma populaire soviétique. La planète des tempêtes fait partie des très rares films de science-fiction produits en URSS, et s’il demeure toujours dans l’ombre aujourd’hui (ce qui est indéniablement dû à son statut de série B), il mérite la reconnaissance qu’ont eus les chefs-d’œuvre, certes plus tardifs, d’un certain Andrei Tarkovski dans ce même genre.

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Les cosmonautes qui venaient du froid

À tous les amateurs de SF qui n’ont jamais entendu parler de Pavel Klouchantsev, je dis : « Ruez-vous sur ce film ». Pas seulement sur celui-ci, d’ailleurs. L’importance qu’a eue cet homme dans l’univers de la science-fiction soviétique est comparable à celle de Méliès dans l’invention et le développement du trucage cinématographique ; cinéaste et écrivain, Klouchantsev a réalisé plus de cent films dans sa carrière, dont le légendaire En route vers les étoiles, docu-fiction visionnaire réalisé en 1957, qui retrace l’état de l’astronautique en URSS jusqu’à Spoutnik (qui a été lancé pendant la période de tournage du film) et se complète par une projection de ce que la suite de la conquête dans l’espace pourrait donner, dont la ressemblance avec les événements qui se produiront par la suite (le premier voyage dans l’espace, notamment) est troublante. La réussite artistique du film est telle que Stanley Kubrick s’en servira comme source d’inspiration principale pour réaliser 2001 dix ans plus tard. Le 14 avril 1962, presque un an jour pour jour après le voyage de Youri Gagarine à bord de la fusée Vostok 1 qui signe la victoire la plus importante de l’Union soviétique sur les États-Unis, Klouchantsev présente son nouveau film, La planète des tempêtes : l’histoire, très PlaneteTempetes-03simple, est celle d’une mission pour laquelle trois vaisseaux sont lancés à destination de Vénus. Sur les trois, un seul parviendra à se poser sur la planète et les explorateurs formant l’équipage devront affronter une nature étrange, inconnue et hostile.

Sous ses airs de simple film de propagande visant à mettre en valeur les prouesses des cosmonautes et des techniciens soviétiques – ce qu’il est malgré tout – La planète des tempêtes est une œuvre bien plus réfléchie et dont les velléités artistiques ne sont pas à négliger. Ce qui est normal en un sens, puisqu’elle est produite par Lennauchfilm, le studio de Leningrad spécialisé dans les films documentaires à visée scientifique pour qui Klouchantsev a longtemps travaillé, et dont les fonds provenaient de l’Etat. Une organisation qui laissait alors tous les choix artistiques au cinéaste, et le travail de ce dernier est brillant dans ce film, particulièrement sur la photographie qui donne une grande valeur aux paysages vénusiens qui apparaissent bien plus fascinants qu’inquiétants. Ce qu’il ne faut pas manquer de remarquer, c’est qu’en 1962, les productions américaines de science-fiction avaient connu un succès tel qu’elles étaient distribuées dans tout le monde occidental – notamment grâce à Planète interdite (Fred M. Wilcox, 1956), autre film visionnaire et innovant. Le personnage de Robby le robot dans le film de Wilcox est d’ailleurs cité dans La planète des tempêtes, à travers le personnage de John, un robot créé par le seul personnage américain de l’équipage. John, personnage amusant qui finit par se rebeller contre son créateur et les héros, est une excellente manière pour Klouchantsev de critiquer, dans son discours édifiant envers la grandeur de l’URSS, l’automatisation qu’il juge aussi inutile que dangereuse, et prône ainsi la suprématie du glorieux travail manuel. En cette période de réussite soviétique, la propagande distillée dans le film n’attaque jamais le bloc occidental, préférant se focaliser sur les succès qu’enchaîne le pays.

Tout discours mis à part, La planète des tempêtes trouve son apogée dans le traitement des effets spéciaux, souvent bien plus réussis que dans les productions Corman de la même période – à noter d’ailleurs que Roger Corman achètera le film pour une somme très modique mais qu’au lieu de le sortir en l’état, il le remontera et fera ajouter des séquences avec des acteurs américains pour donner au final deux films, Voyage to the prehistoric planet (Curtis Harrington, 1965) et Voyage to the planet of prehistoric women (Peter Bogdanovich, 1968) – ou que dans beaucoup de films de série B qui débarqueront sur les écrans dans les années à venir. On retiendra notamment l’immense plante carnivore que les cosmonautes rencontrent dès leur arrivée sur Vénus, John le robot, bien sûr, et les aéroglisseurs leur permettant de se déplacer, qui anticipent déjà ceux que George Lucas intégrera dans Star Wars plus de quinze ans après. En plus des effets, le film se distingue aussi par son absence totale de mise en valeur des acteurs, et encore moins de starification : le film repose sur une intrigue des plus simples, qui consiste seulement à explorer une planète inconnue. Ils reviendront vivants de cette mission, à force d’unification et de courage ; là encore, on devine le sous-texte légèrement propagandiste, mais il s’agit indéniablement de l’un des atouts majeurs du film, puisque l’importance de l’œuvre repose ainsi sur des valeurs humaines, autant que sur les intentions les plus purement artistiques du réalisateur Pavel Klouchantsev.

La planète des tempêtes sortira pour la première fois en DVD le 6 mai 2014, grâce à Artus Films, dont le travail est remarquable : le film n’ayant jamais circulé en France (excepté, à l’époque, dans les ciné-clubs de groupes sympathisants communistes), il bénéficie d’un récent doublage qui avait été réalisé à l’occasion de la diffusion du film dans le Cinéma de quartier de l’irremplaçable Jean-Pierre Dionnet sur Canal+, au courant des années 2000. Le master de l’image met correctement en valeur les décors et les couleurs si chères au film, et l’audio (VO et VF) n’a que très peu de défauts. Côté bonus, on retrouve encore une fois Alain Petit qui met ses connaissances cinéphiliques au service du spectateur dans une intervention très riche et intéressante sur le cinéma de science-fiction en URSS. On ne peut que remercier l’éditeur de proposer une telle perle totalement méconnue et pourtant si importante.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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