Au sein de ce dossier, La disparition d’Alice Creed est à mettre un peu à part, car il ne s’agit pas d’un film d’horreur, mais plutôt d’un thriller. Tourné en peu de temps, avec un budget réduit et seulement trois acteurs, le premier film de J Blakeson est brut, sec, et fait preuve d’intelligence dans ses thématiques et dans son déroulement.
2 garçons, 1 fille, 3 possibilités
2010 aura été une excellente année pour Gemma Arterton. La belle anglaise, révélée dans son pays d’origine par la comédie à succès St Trinian’s, s’est surtout fait remarquer dans Quantum of Solace, malgré sa brève apparition. Mais c’est en 2010 que sa carrière démarrera réellement, notamment avec Tamara Drewe de Stephen Frears, grâce auquel elle ira à Cannes, deux blockbusters en costumes (Le Choc des Titans et Prince of Persia), et, donc, La disparition d’Alice Creed, un film qui a beaucoup fait parler lors de sa sortie.
Comme l’indique le titre, elle y incarne Alice Creed, une jeune fille qui se fait enlever par Vic et Danny, deux kidnappeurs très organisés et qui n’ont pas l’air de connaître le sens du mot « erreur ». Pourtant, la présence de la fille en chair et en os dans leur quotidien va très rapidement bouleverser leur petit plan bien huilé. Et puisqu’il est si bien huilé, leur plan, elle sait où ils peuvent se le carrer, car la victime, qui recèle bien des secrets, est finalement celle qui sera durant 1h35 au centre de l’histoire et de toute l’attention des kidnappeurs, mais aussi du spectateur.
Lorsque le film démarre, le ton est donné : durant quatre ou cinq minutes, Vic et Danny préparent la fourgonnette et la pièce capitonnée pour le kidnapping d’Alice Creed. Les inserts priment, les plans courts (voire très courts) ont la part belle, le tout est monté nerveusement et tout ça, sans qu’aucun des deux personnages ne décroche un seul mot. Une organisation parfaite, tellement précise et bien ordonnée que ça en devient presque flippant. Seulement deux phrases, très courtes, prononcées dans les dix premières minutes du film : on comprend que la prochaine heure et demie ne sera pas bavarde, mais elle sera brute et concise, et J Blakeson garde effectivement cet état d’esprit durant tout le métrage. Il y a de nombreux twists après la première moitié du film, et cette réalisation nerveuse et minimaliste est clairement là pour desservir les effets de surprise.
Le vrai sujet du film est donc Alice Creed, puisqu’elle a droit à une place toute spéciale dans le titre lui-même. Et celle qui passe la majeure partie du temps attachée et bâillonnée avec un sac sur la tête arrive dans la vie des deux hommes comme un symbole de tentation. Vic et Danny sont amoureux, et ils comptent sur les deux millions de livres que peut leur rapporter le kidnapping pour foutre le camp, et c’est Alice Creed seule qui peut leur permettre d’accomplir cela. Mais Alice Creed est aussi belle que son père est riche, et son corps, qui est entièrement nu dans les premières minutes du film, est là comme une provocation. Provoquant parce que Danny est bisexuel, et il se trouve qu’il connaît bien Alice (sans que Vic ne le sache) puisqu’il mène apparemment une double vie de couple. Au centre de ce triangle amoureux, cette Eve ne sait plus si elle doit faire confiance à son Adam (Vic) ou au serpent (Alice).
Le coup de génie de la part de J Blakeson, c’est de faire de son personnage féminin une prédatrice, même lorsqu’elle est ligotée et enfermée dans une pièce capitonnée. Alice Creed est successivement un enjeu, puis un corps, puis une victime, puis – lorsqu’elle est libérée – une vengeresse. Un personnage à part entière, très complexe, que Gemma Arterton interprète à la perfection, sachant magnifiquement cerner la personnalité d’Alice Creed. Mais si la victime se transforme au fil de la trame, les deux autres personnages aussi : ainsi, Vic, le leader strict et qui ne se laisse pas discuter, se révèle fragile dans une séquence de baiser avec son partenaire Danny, qui, lui, s’il faisait la forte tête au début, finira la queue entre les jambes.
Les derniers plans du film se concentrent sur les personnages et les objets qui ont eu un sens particulier durant l’histoire ; en faisant écho aux premiers plans du film, dont je disais plus haut qu’ils étaient très courts et montés nerveusement, ceux-ci sont nettement plus longs et filmés presque contemplativement, comme pour signifier le calme après la tempête. Nous parlions de transformation dans les lignes précédentes, et c’est précisément dans ces derniers plans que la notion de transformation prend tout son sens, à travers ces visages et ces corps changés, ce lit vidé de son occupante, cette fourgonnette brûlée.