Devil Story : Il était une fois le diable


Il est de ces grands films que l’on ne peut oublier : Nosferatu, Orange Mécanique, Le Parrain, Huit et demi, Ogroff… Devil Story est assurément l’une de ces œuvres qui chamboulent toute conception du cinéma : on imagine que les Godard, Bazin, Ferro et les autres grands théoriciens du cinéma se sont penchés non sans mal sur le cas de cet OFNI réalisé par Bernard Launois en 1985. Nanarland et Sheep Tapes n’ont pas eu froid aux yeux, car Devil Story est le premier film qu’ils éditeront en DVD, et qui sortira le 12 septembre 2011, soit 10 ans et un jour après les fameux attentats qui ont plongé notre planète dans le chaos… Coïndicence ? Je ne pense pas…


Lorsque l’on s’apprête à découvrir Devil Story, on ne se doute absolument pas des réactions psychologiques que le film va engendrer dans notre organisme, jusqu’alors normalement constitué (quoique là aussi, ça reste à voir). Devil Story, c’est l’histoire d’un couple américain (?) qui vient en voyage en Normandie (? ??). Miami – Fécamp, aller simple, tel aurait pu être le titre du film, car cet horrible voyage sera l’occasion de croiser un serial killer avec un costume de SS, une momie qui porte à gauche, une maquette de vaisseau fantôme, une vieille gitane qui n’est probablement pas gitane ressemble à Tata Suzanne et un tireur fou titulaire de la carte Vermeil. Le film profite d’une très belle édition DVD, et désigner celle-ci par le terme « collector » est tout à fait approprié. Sheep Tapes n’a évidemment pas les moyens de la Warner, et pourtant, cette édition qui inaugure la maison éditrice vaut largement les films sortis sous les grands labels, de par la qualité de la galette autant que par la diversité des bonus, dont Il était une fois Devil Story, un documentaire original de 32 minutes sur le film, avec les interventions aussi exclusives qu’inattendues du réalisateur Bernard Launois, de l’actrice Véronique Renaud, ainsi que des journalistes Christophe Lemaire (Brazil), Rurik Sallé (Mad Movies) et, cerise sur le gâteau, Frank Henenlotter, réalisateur du culte Elmer le remue-méninges ! Le documentaire est étonnant, d’abord par le temps et la recherche qu’il a dû demander, mais également par le regard que chaque intervenant a sur l’œuvre, et qui diffère à chaque fois. Si Bernard Launois et Véronique Renaud (dont c’était là l’unique apparition à l’écran) étaient bien conscients, déjà à l’époque de sa sortie, que le film était raté (le réalisateur et l’actrice évoquent l’écriture, le tournage et la sortie de Devil Story sans langue de bois, avec une sincérité évidente), les autres intervenants (prenons Christophe Lemaire et Frank Henenlotter, par exemple) ne sont pas du même avis : plus qu’un mauvais film, ils le considèrent comme une bizarrerie sans limites, une œuvre qui ne peut pas être définie simplement mais qui a tout pour ravir les cinéphiles déviants. Le commentaire audio des scènes clés vaut son pesant de cacahuètes, avec un Bernard Launois exaspéré par les critiques de son film (qui, pour la plupart parmi celles qu’il cite, proviennent de Nanarland, autrement dit… des mecs qui éditent son film en DVD ! Ce qui n’empêche pas de les traiter de cons), et en même temps, expliquant calmement et simplement ce qui a conduit à tel choix de montage, tel effet, telle situation, telle mise en image, pourquoi ont-ils construit une pierre tombale en « polyester » (on pensait qu’il voulait dire « polystyrène », mais après l’avoir répété trois fois, c’est peut-être effectivement du polyester… ?) et tant d’autres anecdotes qui ne font que rajouter de la valeur au film. Les bonus parodiques (Hollywood Devil Story, Ethnologie et cheval du diable & France Mannequin), s’ils n’ajoutent rien d’instructif ou d’insolite, sont toutefois amusants, et prouvent une fois de plus l’intérêt que portent certains groupes de cinéphages (dont font partie votre serviteur et ses collaborateurs d’Intervista) pour cet autre cinéma.

Si le long-métrage en lui-même n’a pas encore été réellement évoqué ici, c’est parce que l’article publié sur Nanarland.com, celui qui est à l’origine de tout, est largement suffisant. Cependant, il serait inapproprié de faire la chronique d’un DVD sans donner un avis, aussi bref soit-il, sur l’attraction centrale, à savoir le chef-d’œuvre ultime de Bernard Launois. A la vision de Devil Story, tous nos sens sont mis en exergue, et les réactions sont variées : perles de sueur sur le front dans le meilleur des cas, crises d’épilepsie dans le pire, en passant par les saignements de nez ou les spasmes musculaires. Stephen Hawking et les frères Bogdanov eux-mêmes n’ont pas su expliquer comment le spectateur peut paraître à la fois absent et obnubilé. On pense aux Jean Rollin estampillés Eurociné, à Norbert Moutier (dont le Mad Mutilator, plus connu sous le nom d’Ogroff, sorti deux ans auparavant, semble ne pas être inconnu du réalisateur), mais on se surprend aussi à penser à David Lynch (quel était mon étonnement lorsque j’ai vu Christophe Lemaire et le réalisateur évoquer son nom dans les bonus) ! Mais Bernard Launois frappe encore plus fort, car là où Lynch aurait expliqué les mystérieuses apparitions du cheval et du chat noir par des métaphores pas très claires sur la vie et la mort, qui au final ne veulent plus rien dire (aucun talent, ce gars, vraiment AUCUN !), notre Lynch tricolore rien qu’à nous les explique par des phrases très simples et limpides, de cinq mots maximum (onze en comptant les bafouillages). Eh oui, n’est pas Bernard Launois qui veut (et tac dans ta gueule, David !)… Pour n’évoquer que les scènes cultes, parlons de ce vieux chasseur qui tire sans arrêt (il avait activé le code pour avoir les munitions illimitées), quinze minutes durant (dans le film ça fait un jour et demi, nuit comprise), sur un cheval qui galope en rond dans un petit pré et sans jamais le toucher. Ou bien de cette séquence de dialogue au début du film, où le couple semble parler interminablement, mais n’est doublé que par quelques rares paroles (valable aussi dans la version américaine… pas anglaise, américaine !). Ou bien de cette petite vieille qui abrite le couple chez elle, et qui ne peut dire une réplique sans sortir du coin bar de la pièce. Ou bien du fameux tueur au costume de SS qui se bat avec un cheval… et qui perd lamentablement. Ou bien encore du vieux chasseur (c’est vraiment le personnage le plus culte, croyez-moi) qui répète « Je serai le maître !!!! » avec un air pas inquiétant du tout mais qui est censé l’être.

Bref, vous aurez compris qu’à partir du 12 septembre, il vaut mieux vous empresser et acheter Devil Story : il était une fois le diable, un film de Bernard Launois dans lequel il n’y a pas le diable du tout, donc. L’autre alternative, c’est de pré-commander le DVD (valable jusqu’au 29 août) pour le recevoir avant tout le monde (mais après nous quand même, puisqu’on l’a déjà vu) et avec un tarif préférentiel, en cliquant ici. Classique de Nanarland, cette incroyable œuvre considérée comme l’équivalent français d’un Ed Wood sort enfin en DVD, et nous ne pouvons que saluer le remarquable travail fourni par le site des mauvais films sympathiques et l’éditeur Sheep Tapes, et leur souhaitons de nous faire profiter de beaucoup d’autres perles comme celle-ci, que nous ne manquerons pas de vous chroniquer ici même.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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