Le nouveau film de Pedro Almodóvar est un subtil mélange de science-fiction, d’horreur et de drame psychologique. Marquant le retour d’Antonio Banderas, à ses côtés La piel que habito est un vrai film de genre grâce auquel le cinéaste ibérique prouve qu’il peut complètement se renouveler.
Tolède, 2012. C’est sur cette inscription et sur ce décor que s’ouvre le film. Robert Ledgard, chirurgien plastique, vit dans une grande maison avec sa servante Marilia. C’est là qu’il a pu créer, après moult efforts, un nouveau type de peau qui permet de résister à la douleur. Son cobaye est une mystérieuse et attirante jeune femme, Vera, qui habite avec Robert et Marilia, mais reste enfermée dans une pièce surveillée par Robert lui-même. Ce dernier est obsédé par une tragédie qui a détruit sa famille, et dont Vera est la clef…
La piel que habito peut d’ores et déjà être considéré comme une pièce maîtresse dans l’œuvre de l’auteur, et confirme bien son statut de cinéaste novateur. Dès les premières secondes, on croit voir un film de science-fiction : l’action se passe dans un futur proche, et la création du Dr. Ledgard semble être tout droit sortie d’un roman de Philip K. Dick. Bon, en réalité, c’est sorti d’un roman de Thierry Jonquet : c’est moins glorieux, mais il est amusant de voir comment Almodóvar s’approprie le sujet. Ledgard est une sorte de docteur Frankenstein spanish-style, un homme qui se donne corps et âme dans son travail et qui est dénué de toute émotion, un Prométhée encore plus moderne. On met du temps avant de reconnaître la Pedro’s touch, mais c’est pour mieux berner le spectateur, ou peut-être est-ce pour marquer un lien avec ses œuvres précédentes, dont il souhaite se démarquer ? Il opte ici pour une réalisation minimaliste, à l’image de la maison dans laquelle évoluent les trois personnages, mais qui coupe vite avec le sujet du film, et l’interprétation faussement sobre des personnages, Ledgard en tête. Les séquences d’opération impliquant Antonio Banderas (Ledgard) et Elena Anaya (Vera) sont filmées mécaniquement, à tel point que la notion d’hôpital se ressent dans chaque plan. On devine bien que Banderas ne s’y connaît pas plus en chirurgie que moi en histoire politique du Guatemala, et on ne montre que certains gestes, qui demandent précision et grâce, et Almodóvar les filme, c’est le cas de le dire, de manière très chirurgicale.
La grande surprise du film, donc, c’est Antonio Banderas, qu’Almodóvar retrouve après vingt-deux ans d’absence. On ne pouvait pas rêver mieux, parce que pendant que l’un réalisait Tout sur ma mère ou La mauvaise éducation, l’autre se mariait avec Mélanie Griffith et jouait dans Le masque de Zorro, c’est dire s’il était temps qu’ils se retrouvent ces deux-là. La seconde grande surprise du film, c’est que le susnommé Antoine Drapeaux reprend exactement là où il s’était arrêté il y a vingt-et-une années, avec Attache-moi ! : Ricky transparaît en Robert Ledgard, il a seulement vieilli en même temps que son interprète. A ses côtés, la grande Marisa Paredes, fidèle au poste, et la belle Elena Anaya, toutes deux époustouflantes de perfection.
Bien loin de l’hystérie d’Attache-moi !, La piel que habito est bien un pur produit Almodóvar, où la folie ne réside plus dans l’aspect visuel, mais dans les situations et les relations entre les personnages. Dans cette grande maison que l’auteur filme en alternant froideur et poésie et avec toutes les qualités du cinéaste perfectionniste, évoluent ces trois personnages, entre bonheur et horreur, sans que jamais il n’abandonne ses thèmes favoris. On voyage dans le temps, aussi, pour comprendre les origines de l’obsession de Robert, emportés par les airs de jazz de Buika ; la bande originale, qui fait preuve de romantisme autant qu’elle lorgne parfois sur la partition de Shining est grandiose. On pensait avoir tout vu d’Almodóvar, mais La piel que habito apporte quelque chose de neuf dans son univers, qui ne durera probablement que le temps d’un film.